CADENA, la chaîne de blocs sous-tendant la mise en œuvre des accords de reconnaissance mutuelle
16 octobre 2018
Par Sandra Corcuera Santamaria, Banque interaméricaine de développementDepuis quelques temps déjà, la Banque interaméricaine de développement soutient les travaux de mise au point d’une chaîne de blocs qui permette de partager les informations sur les opérateurs économiques agréés (OEA) de manière automatisée, sécurisée et efficace entre les administrations des douanes du Mexique, du Pérou et du Costa Rica, dans le but de garantir la mise en œuvre effective des arrangements et accords de reconnaissance mutuelle.
Près de 80 pays dans le monde ont mis sur pied leur programme d’OEA et certains ont passé des accords de reconnaissance mutuelle (ARM) ou sont en train d’en négocier. À ce jour, un nombre record de 60 ARM ont été signés et quelque 40 arrangements supplémentaires sont en cours de négociation.
Outre les accords bilatéraux « traditionnels », des accords multilatéraux ou plurilatéraux ont également fait leur apparition. Le plus récent ARM de ce type a été conclu en 2018 par les administrations douanières de la Colombie, du Chili, du Mexique et du Pérou, quatre pays formant le bloc commercial de l’Alliance du Pacifique, l’initiative d’intégration régionale la plus récente en Amérique latine. Dans la région d’Amérique latine et des Caraïbes, trois autres ARM multilatéraux sont en train d’être négociés entre les pays d’Amérique centrale (le Costa Rica, le Salvador, le Guatemala et le Panama, le Honduras y participant en tant qu’observateur), les pays de la Communauté andine (la Bolivie, la Colombie, l’Équateur et le Pérou) et les nations du bloc commercial du Mercosur (l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay). Dans d’autres régions du monde, les pays participent activement aux initiatives régionales axées sur les OEA (comme la Communauté de l’Afrique de l’Est, par exemple) ou sont en train de négocier des ARM multilatéraux (l’initiative du bassin du Tumen).
Les défis
Le déploiement de programmes d’OEA et la propagation des ARM dans le monde sont des évolutions positives dans la mesure où ces initiatives contribuent à sécuriser la chaîne logistique du commerce international tout en renforçant la facilitation des échanges. Cela étant, les ARM peuvent-ils être appliqués de manière à offrir aux commerçants les avantages qui leur ont été promis ?
En théorie, lorsque les administrations douanières signent un ARM, les entreprises certifiées OEA bénéficient de certains avantages dans tous les pays signataires de l’ARM en question. Ces avantages sont répertoriés dans l’ARM et peuvent prendre la forme d’une réduction des contrôles documentaires et matériels menés par la douane, le système de gestion des risques d’une administration douanière reconnaissant que l’envoi provient d’un OEA certifié par une autre administration, ou qu’il doit bénéficier d’un traitement prioritaire s’il est sélectionné aux fins d’une vérification. Loin d’être exhaustives, ces mesures ont un impact positif sur les bénéfices commerciaux puisqu’ils réduisent le temps et les coûts nécessaires pour effectuer une transaction.
Dans la pratique, toutefois, l’application sécurisée de telles mesures reste problématique et aboutit à une situation qui limite la capacité des administrations à offrir les avantages promis de manière sûre et en temps voulu.
Les ARM se fondent sur le principe de l’échange ininterrompu d’informations sur les sociétés certifiées OEA entre les pays signataires de l’ARM. Afin d’échanger les renseignements nécessaires à cet effet, des douaniers spécialement assignés à cette tâche dans chaque administration envoient par courriel à leurs homologues des autres administrations un fichier Excel contenant les éléments de données sur leurs OEA, conformément à ce que les pays ont convenu de se transmettre les uns aux autres. Les administrations douanières participant à un ARM conviennent également de la fréquence des échanges de données, qui est généralement établie à une fois par mois. Chaque fonctionnaire responsable s’occupe ensuite d’incorporer ces éléments de données dans le système de gestion des risques de son administration afin que les opérations d’importation associées à un OEA étranger d’un pays partenaire à l’ARM soient qualifiées de plus « fiables » par ce même système.
Pour l’heure, il existe très peu de mécanismes permettant de procéder à un échange de données automatisé, sûr et en temps réel sur les certifications OEA. Bien que quelques initiatives aient été entreprises pour automatiser l’échange des données, de nombreux pays recourent encore aux courriels.
Cette situation pose plusieurs problèmes:
- La méthode actuelle d’échange de données comporte des risques. Lorsqu’un courriel est envoyé, le message quitte le serveur du fournisseur de messagerie et voyage à travers l’Internet. Il est impossible de savoir par combien d’autres serveurs le message passe entre le moment où il est envoyé et le moment où il est effectivement reçu par le destinataire, tout comme il est impossible de savoir qui a accès à ces serveurs. Bien qu’il soit possible de crypter la connexion au serveur de messagerie et d’utiliser les protocoles de cryptage pour envoyer le courriel, il n’est pas toujours possible de garantir que le destinataire ait mis en place le même jeu de mécanismes de sécurité. En d’autres mots, l’envoi des documents, pour sécurisé qu’il soit, ne garantit pas la livraison sécurisée de ces mêmes documents. Le programme d’OEA se fonde essentiellement sur la sécurité de la chaîne logistique. Les écritures et les données relatives aux entreprises agréées devraient donc pouvoir être échangées sans le moindre risque.
- Les données ne sont pas échangées en temps réel mais sur une base mensuelle ou périodique et, par conséquent, les avantages ne peuvent pas être accordés immédiatement. Les entreprises peuvent subir des pertes au cours du mois suivant la certification selon le laps de temps qui s’écoule entre le moment où elles se voient octroyer l’agrément OEA et le moment où l’échange de données se produit entre les administrations douanières participant à l’ARM.
- La capacité de réagir à une suspension, une annulation ou un retrait du statut d’OEA est également réduite, pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus. Il peut y avoir un retard entre l’annulation effective d’un certificat OEA et la communication concrète de l’annulation à l’administration douanière partenaire. Cette situation pose un risque sécuritaire réel. Ce déphasage peut avoir un effet négatif sur la confiance et la sécurité de la chaîne logistique et ce risque est dès lors partagé par les pays participant à l’ARM.
CADENA
Afin de résoudre ces problèmes et de créer un mécanisme sûr d’échange de données, les fonctionnaires chargés du programme d’OEA et les spécialistes en technologies de l’information des douanes du Mexique, du Pérou et du Costa Rica travaillent avec Microsoft et la BID afin de mettre au point les fonctions informatiques et l’architecture technologique d’une application baptisée CADENA (« chaîne » en espagnol), fondée sur la technologie des chaînes de blocs. Actuellement, les trois administrations douanières en sont à la phase de validation et la solution fait l’objet d’essais avant d’entrer dans la phase de production.
La chaîne de blocs offre des avantages concrets pour la gestion du processus de certification des OEA et pour la mise en œuvre d’ARM dans la mesure où elle permet d’enregistrer et de partager les transactions suivant un protocole convenu entre un groupe de parties, chaque transaction étant sécurisée et protégée par une piste de vérification à rebours immuable. CADENA permet aux administrations douanières qui s’engagent sur la voie d’un ARM de partager une vision unique du statut d’un certificat d’OEA en temps réel et l’application facilite la validation automatique des OEA au titre d’un ARM en recourant aux contrats intelligents. Grâce à CADENA, les opérateurs commerciaux sont également en mesure d’accéder aux informations sur leur certificat, augmentant ainsi la confiance et la transparence et, en définitive, la participation active du secteur privé.
Le principal impératif dans le contexte d’un ARM est d’attribuer un numéro unique à chaque OEA qui puisse être utilisé dans l’ensemble de la chaîne logistique et qui soit reconnu par tous les partenaires de l’ARM en question. CADENA utilise les normes de l’OMD, notamment le format du numéro d’identification des entreprises (NIE) et ses données maîtres sous-jacentes sur les OEA qui fournissent un jeu complet d’informations relatives aux opérateurs économiques agréés.
Les résultats préliminaires obtenus durant la phase de validation indiquent que les administrations douanières peuvent en tirer d’énormes avantages, qui se traduiront également par des gains ou des bénéfices pour le secteur privé :
- CADENA rend la gestion de l’ARM efficace et effective, les douanes disposant d’un mécanisme numérisé, automatisé, sécurisé et fiable pour le partage d’informations sur les certificats d’OEA.
- CADENA garantit l’intégrité des données et permet d’accéder aux données à gérer en octroyant différents rôles et permissions aux utilisateurs.
- CADENA garantit aux opérateurs qu’ils pourront bénéficier des avantages des ARM à partir du moment où ils recevront leur certification.
- CADENA promeut la transparence en permettant aux entreprises d’accéder aux informations relatives à leur certificat ainsi qu’à la liste des autres entreprises certifiées OEA dans les pays signataires de l’ARM.
- CADENA renforce la sécurité globale des chaînes logistiques en garantissant que les renseignements sur les suspensions et abrogations du statut par une administration douanière et les retraits par les entreprises soient bien enregistrés et partagés en temps réel.
Et à l’avenir ?
CADENA a vu le jour grâce à la volonté d’innovation des douanes du Mexique, du Pérou et du Costa Rica, et grâce à l’appui de la Banque interaméricaine de développement et de Microsoft. L’initiative illustre comment une technologie transformatrice peut contribuer à améliorer les procédés douaniers et la gestion des frontières.
Bien qu’elle vise à relever un défi spécifique, à savoir la mise en œuvre des ARM, CADENA a montré, durant la phase de démonstration de la faisabilité, qu’elle pouvait remplir plusieurs autres fonctions, qui font aujourd’hui l’objet d’une étude approfondie. Le système pourrait être élargi afin d’automatiser et de gérer l’ensemble du processus de certification des OEA, promouvant ainsi tant l’efficacité que la traçabilité aux fins du contrôle.
CADENA peut également être intégrée dans d’autres systèmes douaniers comme dans les applications de gestion des risques, remédiant ainsi à de nombreuses inefficacités tout en encourageant le changement et la modernisation au sein de la douane. La solution peut également être adaptée pour permettre l’adhésion d’autres pays à l’ARM et peut interagir avec d’autres chaînes de blocs et entités. Il serait possible de tirer parti d’une « seule vérité » concernant le statut des opérateurs certifiés OEA à des fins notamment de vérification au niveau des assurances, de la fiscalité et du financement du commerce, par exemple. Et ce ne sont là que quelques exemples !
Le développement de CADENA et le déploiement d’un programme d’OEA participent au même projet. Tant la technologie des chaînes de blocs que les programmes d’OEA sont des innovations nées au 21ème siècle et tous deux viennent renforcer un élément essentiel dans la chaîne logistique du commerce international : la confiance.
Au cours de la dernière décennie, la Banque interaméricaine de développement a apporté son soutien continu aux pays d’Amérique latine et des Caraïbes pour la conception et la mise en œuvre de programmes d’OEA et a contribué à faciliter les négociations sur un nombre important d’ARM dans la région.
En outre, la BID a mené des études de recherche sur l’impact des programmes d’OEA sur le commerce et les exportations et a également mis au point des modules de formation virtuelle, dont une « Formation en ligne ouverte à tous» sur les OEA qui s’adresse aux fonctionnaires des douanes et autres services gouvernementaux présents aux frontières ainsi qu’aux entreprises intéressées par l’agrément.
En soutenant la mise au point de CADENA et en promouvant activement l’utilisation d’une technologie novatrice afin de gérer les programmes d’OEA, le travail de la BID prend une nouvelle dimension.