Lutter contre la surévaluation: l’expérience du Malawi
20 mars 2018
Par Frank Kalizinje, analyste et chercheur en veille stratégique, Département de la douane, Autorité fiscale du MalawiLe blanchiment d’argent sous le couvert d’opérations commerciales est défini par le Groupe d’action financière (GAFI) comme le processus qui consiste à déguiser les produits de la criminalité pour les introduire dans l’économie formelle en recourant aux transactions commerciales, dans une tentative de légitimer leurs origines illicites. Dans la pratique, cela se traduit notamment par le recours à de fausses déclarations de prix, de quantité ou de qualité lors des opérateurs d’importation et/ou d’exportation.
Au Malawi, l’Agence de renseignement financier cite le blanchiment d’argent sous le couvert d’opérations commerciales comme la source principale des flux financiers illicites (FFI) sortant du pays. La Douane du Malawi a, par conséquent, un rôle important à jouer dans la lutte contre les FFI puisqu’elle est à même de détecter les anomalies commerciales qui peuvent cacher des flux financiers sortant du pays vers un pays étranger par le biais d’une sous-évaluation des exportations et d’une surévaluation des importations.
Dans le présent article, je me concentrerai sur la surévaluation des importations. Ce type de fraude ne reçoit pas autant d’attention que la sous-évaluation des exportations, qui a un plus grand impact sur les contrôles des douanes et des institutions financières des pays en développement à cause de ses implications sur les recettes et sur les réserves de change officielles. La surévaluation des importations a pourtant, elle aussi, un impact sur ces réserves puisque la capacité d’importation d’un pays est limitée par les réserves de change qu’il tire de ses exportations, ou de ce que l’on appelle la « balance courante », à moins qu’il ne choisisse de financer son déficit par des emprunts, comme le font souvent certains.
L’attention moindre portée à la surévaluation dans notre pays est due au fait que le Malawi, en tant que pays moins avancé (PMA), dépend fortement des recettes douanières comme source de revenus pour l’État, ces dernières représentant à peu près un tiers du montant total des recettes fiscales. Lorsque les marchandises sont surévaluées, la charge fiscale sur l’importateur est élevée, tout comme le montant des droits et taxes qui sont perçus et versés ensuite dans les caisses de l’État.
Dans le cadre d’une étude que j’ai menée, j’ai procédé à une analyse miroir pour détecter les fraudes et autres délits potentiels concernant les transactions portant sur différents produits échangés entre le Malawi et ses plus grands partenaires commerciaux en Afrique orientale et australe en 2015. J’ai découvert plusieurs cas de surévaluation qui montrent qu’à travers ces pratiques, des opérateurs peu scrupuleux sont susceptibles de tirer parti du manque de rigueur dans les contrôles pour transférer des capitaux vers l’étranger.
Surévaluation
Par définition, la surévaluation ou la surfacturation consiste à gonfler délibérément et de façon frauduleuse les prix des marchandises et elle se fonde sur une collusion entre l’importateur et l’exportateur. Une fois que les marchandises ont été importées avec succès, l’exportateur/fournisseur reverse le montant excédentaire à un complice sous une autre forme, par exemple, en espèces ou sous le couvert d’autres avantages. L’objectif ultime de la surévaluation des importations est de déplacer des fonds du pays d’importation ou, en d’autres termes, de faciliter la fuite de capitaux, fuite qui regroupe plus généralement trois types de délits : la fraude douanière et fiscale (subventions à l’exportation), l’évasion fiscale sur le revenu et le blanchiment d’argent.
Prenons un simple exemple : un fournisseur X d’un pays A dépense un million de dollars des États-Unis pour acheter des lames de rasoir à cinq cents la pièce ; il exporte 20 millions de lames vers le Malawi, où elles sont importées par un importateur Y au prix unitaire de 30 cents. Le coût total de l’envoi s’élève à six millions de dollars, qui sont payés par l’importateur, déplaçant ainsi cinq millions de dollars depuis le Malawi vers l’étranger en une seule transaction.
Il est difficile de détecter la surévaluation, d’en remonter la filière et de lancer des poursuites judiciaires contre qui de droit parce qu’il faut pouvoir mettre la main sur des documents commerciaux plus complexes et la collusion entre les commerçants complique encore les choses. Toutefois, il existe plusieurs façons d’identifier les transactions à risque, qui consistent, par exemple, à :
- mener une analyse miroir, c’est-à-dire comparer les données nationales et les données des pays étrangers sur les importations et les exportations pour détecter les différences entre les prix unitaires, les valeurs commerciales et le poids ;
- entreprendre une analyse du prix unitaire afin de comparer le prix unitaire moyen d’un produit spécifique et répertorier les opérateurs qui importent ces produits à un prix substantiellement supérieur ou inférieur à celui du marché mondial ;
- analyser les renseignements financiers pour déterminer qui sont les parties impliquées dans ces transactions ainsi que les tierces parties potentielles ;
- rechercher les incohérences dans les transactions commerciales, par exemple entre le type et la taille du produit importé et l’activité commerciale habituelle de l’
Efforts consentis
L’Agence de renseignement financier reconnaît que le risque de fraude à la surévaluation est grand dans le pays, privant le Malawi de capitaux importants et, partant, de recettes potentielles significatives puisque les capitaux ainsi externalisés auraient pu générer des bénéfices qui auraient pu être imposés au Malawi. Ainsi, la Douane du Malawi a déployé une série de mesures pour lutter contre la fraude et les FFI en s’attaquant à la surévaluation.
Contrôle de l’évaluation
Dans la lignée des « Directives pratiques en matière de contrôle de l’évaluation », outil contenu dans le Dossier Recettes de l’OMD, l’Unité de l’évaluation de la Douane malawienne a mis au point un module de contrôle de l’évaluation dans son système douanier afin de détecter les transactions où la valeur déclarée peut sembler suspecte. Le Système douanier automatisé SYDONIA World a été amélioré et une base de données en matière d’évaluation y a été intégrée. Cette dernière répertorie un code de spécification tarifaire pour chaque marque de produit pour lequel une valeur maximale et minimale est fixée. La base de données est utilisée uniquement comme outil d’évaluation des risques et est régulièrement mise à jour. Elle est intégrée au module de gestion des risques de SYDONIA qui repère automatiquement les transactions problématiques durant le processus de dédouanement.
La mise en service de la base de données en matière d’évaluation en 2016 coïncide avec une augmentation sans précédent du recouvrement des recettes pour l’exercice 2016/2017, pour lequel les objectifs ont été dépassés de quelque 15 %. L’utilisation de la base comme outil d’évaluation des risques s’est révélée être un succès. À titre d’exemple, le système a pu détecter un cas où l’exportateur avait présenté de faux documents douaniers à une banque afin de transférer des fonds vers l’étranger.
Coopération interservices
En 2007, le gouvernement du Malawi a créé l’Agence de renseignement financier qui se charge de repérer les produits des activités illicites et de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’Agence travaille avec d’autres services comme le Bureau anti-corruption, le Bureau du Procureur public, l’Unité de police en charge de l’évasion fiscale et de la fraude, le Service national du renseignement et, surtout, l’Autorité fiscale du Malawi.
Pendant longtemps, il a été difficile pour l’Autorité fiscale d’ouvrir des enquêtes sur les suspicions de délit en lien avec le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme car elle ne pouvait pas compter sur un soutien interservices et ne disposait pas du mandat légal pour entamer des poursuites judiciaires. Aujourd’hui, elle ne peut toujours pas enquêter directement sur les affaires de surévaluation, du fait que les implications en matière de recettes ne sont pas directes, mais la coordination interservices comble cette lacune.
Dans un effort pour garantir la cohérence dans la démarche adoptée par les différentes entités ainsi qu’une coordination plus efficace et effective dans la lutte contre les FFI, l’Autorité fiscale a l’intention de conclure un protocole d’accord avec la Banque centrale du Malawi, avec l’Agence de renseignement financier ainsi qu’avec le Bureau anti-corruption. Les PDA devraient être prêts pour leur signature et leur entrée en vigueur en 2018. La coordination couvrira notamment les enquêtes et les poursuites conjointes ainsi qu’un échange continu d’informations et de renseignements entre les services.
Analyse miroir et analyse des données
La gestion des risques est au cœur de toutes les activités douanières. Il est donc impératif que les douanes renforcent leur capacité à utiliser les énormes volumes de données qu’elles recueillent au quotidien. L’étude du Malawi fondée sur l’analyse miroir que j’ai menée constitue un très bon point de départ pour s’assurer que les opérations douanières soient motivées par l’analyse des risques et le renseignement et pour que la Douane malawite tire parti du pouvoir des données dans ses activités. Un des principaux résultats de l’étude a été l’élaboration d’un plan de contrôle de la fraude, qui aidera le pays à réduire de façon substantielle la fraude sur les recettes et, surtout, la fuite des capitaux par le biais de la surévaluation.
Le plan prévoit que le département malawien d’analyse opérationnelle de la Douane mène, ensemble avec l’unité de gestion des risques, des analyses routinières de la fraude en utilisant la technique de l’analyse miroir. Un fonctionnaire de la Douane sera nommé au siège central pour contrôler les déclarations déposées dans le système douanier informatisé et pour étudier les résultats de l’analyse miroir dans le but d’identifier les cas de fraude potentielle sur le revenu, y compris les cas de possible surévaluation. Ce douanier sera également formé pour mener des contrôles et des enquêtes conjointement avec les collègues de l’organe d’investigation de l’Autorité fiscale ainsi qu’avec le personnel des services externes tels que ceux travaillant pour l’Agence de renseignement financier. Le plan vise à garantir que la Douane joue un rôle offensif dépassant le cadre de ses activités plus traditionnelles de recouvrement des recettes et contribue activement à la lutte contre les autres types de fraude qui peuvent aboutir à des fuites de revenus.
Mécanisme de vérification des documents d’importation
L’introduction de SYDONIA World en 2016 a permis de mieux contrôler les paiements relatifs aux importations. Une interface électronique, le « Import Document Verification Facility », connecte SYDONIA World aux systèmes informatiques des banques commerciales, permettant à ces dernières de vérifier l’authenticité des documents douaniers qui leur sont présentés lors des demandes de devises étrangères.
Avant de procéder à des paiements au bénéfice de fournisseurs étrangers, les banques utilisent l’interface pour vérifier que les documents qui ont été présentés soient conformes. La vérification et l’authentification des documents se font en utilisant un code QR apparaissant sur les documents de la MRA. Le personnel de la banque scanne le code, l’application QR affiche une adresse URL où les détails d’un document donné, entreposé dans le système de la Douane, peuvent être consultés. Ce nouveau processus contribue à réduire l’externalisation de devises étrangères à travers la surévaluation.
Il est grand temps que la douane se rende compte que la fraude à la surévaluation représente un délit tout aussi sérieux que d’autres infractions douanières comme la sous-évaluation dans la mesure où elle prive les pays de capitaux bien nécessaires et peut aboutir au blanchiment de fonds. En vertu de sa mission, la douane doit jouer un rôle plus important dans la détection et l’identification des transactions transfrontalières liées au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. À cette fin, il est essentiel que les douaniers puissent suivre des programmes de formation personnalisés sur l’analyse des données financières et commerciales, et adoptent ainsi une culture du renseignement, et que soit mis en place un véritable échange d’informations entre les services concernés au niveau national et international.
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