Dossier

Une méthode pour mesurer la facilitation des échanges

20 mars 2018
Par Dr Andrew Grainger and Duncan R. Shaw

Récemment ratifié en février 2017, l’Accord sur la facilitation des échanges de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est désormais en vigueur. Il s’agit d’une excellente nouvelle, la simplification des échanges commerciaux pouvant générer des retombées économiques positives. Mais une question reste en suspens : comment s’assurer que les pays, administrations et opérateurs joueront le jeu ? Nous sommes d’avis que la mise en place de mesures de facilitation des échanges est une bonne chose, mais que c’est bien de la qualité de la mise en œuvre que dépendront les avantages économiques. Ce dont nous avons besoin, dans l’état actuel des choses, c’est d’une méthode permettant de mesurer la qualité de la facilitation des échanges, et d’agir en conséquence.

Sans une solide méthode de mesure de la facilitation des échanges, il existe un risque réel que :

  • les réformes se concentrent essentiellement sur les obligations définies dans l’Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges (voir tableau n° 1), au risque de négliger d’autres pistes qui permettraient des avancées considérables (il s’agirait par exemple d’améliorer les mécanismes d’interaction entre compagnies maritimes, entreprises de manutention et douanes, ou encore les aspects pratiques des paiements pour les services liés à l’inspection et la convivialité des systèmes électroniques auxiliaires) ;
  • les priorités des réformes ne soient pas les bonnes et que les ressources, limitées, ne soient pas employées au mieux ;
  • le manque d’appropriation ne fournisse une excuse facile, surtout lorsque les mesures de facilitation touchent plusieurs domaines administratifs et opérationnels.

État actuel des connaissances

Heureusement, nous ne partons pas de zéro. Plusieurs méthodes standard de mesure des performances ont déjà été mises au point. On trouve notamment :

 

  • des méthodes d’évaluations globales d’un pays, telles que celle utilisée par la Banque mondiale pour élaborer son Indice de performance logistique et son classement Doing Business, ou encore celle basée sur les indicateurs de facilitation des échanges de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ;
  • des méthodes sectorielles au niveau d’un pays, telles que la méthode d’analyse des processus commerciaux de différents secteurs industriels développée par la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) des Nations Unies ;
  • des méthodes centrées sur un « processus agence » spécifique, telles que celle de l’Étude de l’OMD sur le temps nécessaire pour la mainlevée des marchandises, destinées aux administrations des douanes.

 

Nous savons aussi que la gestion des performances est une science bien établie. Elle bénéficie d’une littérature bien fournie et est enseignée dans la plupart des écoles de commerce. Sans compter que l’expérience du secteur privé est riche d’enseignements. Une pratique très répandue est celle des balanced score cards, ou tableaux de bord, pour étayer la prise de décisions[1]. Elle tient compte du fait que les parties prenantes, au sein de toute organisation, ont des besoins en informations différents. Il peut s’agir :

  • de se tourner vers l’extérieur, par exemple de présenter des rapports à des investisseurs ;
  • de se tourner vers l’intérieur, comme lorsque l’on examine les opérations ;
  • d’être orienté clients, par exemple lors de l’évaluation du potentiel d’un marché ;
  • de se centrer sur l’innovation et l’apprentissage, par exemple de s’inspirer des pratiques d’autres acteurs, ou de développer de nouvelles technologies.

Chacune de ces démarches s’appuie sur des mesures qualitatives et quantitatives – les « indicateurs de performance clés », ou KPI. Deux grands objectifs sont visés ici : le premier consiste à suivre les performances et à déterminer les responsabilités. Le second consiste à communiquer les objectifs et les aspirations. Dans le contexte de la facilitation des échanges, il est également possible de définir des KPI qui couvrent de préférence l’ensemble du système commercial international, et qui se différencient des KPI purement internes déjà utilisés par certaines administrations douanières et autres[2].

Mesurer la facilitation des échanges

Nous proposons six étapes qui se fondent sur les critères jugés importants par les différents acteurs des principaux processus de transaction entre entreprises et pouvoirs publics. Si les principaux acteurs sont satisfaits, alors les processus se déroulent sans heurt.

Étape n° 1 : recenser et décrire les principaux processus. Heureusement, beaucoup de choses ont été faites dans ce domaine. Le modèle de référence de la chaîne d’approvisionnement établi par la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe[3] en est un exemple, mais il existe de nombreux autres modèles.

Étape n° 2 : décrire les différentes parties prenantes et leurs opérations tout au long de la chaîne d’approvisionnement, de l’achat au paiement, en passant par l’expédition. Parmi les acteurs du secteur privé, citons : les négociants, tels que les importateurs, les exportateurs et leurs agents (petits ou grands, chevronnés ou débutants) ; les intermédiaires, ceux qui proposent un transport ou des services liés au transport, de l’expédition au financement et aux assurances ; et les propriétaires et exploitants d’installations et infrastructures commerciales, depuis les ports jusqu’aux sociétés offrant des services informatiques relatifs aux échanges. Les acteurs publics incluent les agences douanières et non douanières, les responsables de l’élaboration des politiques et les organismes d’exécution, de même que les organismes nationaux et ceux des pays partenaires.

Étape n° 3 : cerner les besoins des parties prenantes. Ces besoins sont subjectifs. Ils seront donc différents pour chaque type de partie prenante. Par exemple, le « juste-à-temps » sera peut-être une question de rapidité pour certains, mais davantage de fiabilité pour beaucoup d’autres (absence de retards).

Étape n° 4 : définir des KPI appropriés, en tenant compte du fait que ceux-ci aussi seront diversifiés et dépendront des exigences propres de l’entreprise ou de l’organisation, de leur secteur d’activité, des dispositifs de la chaîne d’approvisionnement et des capacités des différents acteurs.

Étape n° 5 : se consulter et partager les expériences, y compris les données relatives aux KPI, puis analyser ces données en vue de définir la politique à suivre. Cette démarche permettra en outre de faire le bilan des étapes précédentes, de repérer les inefficiences susceptibles de nuire aux performances et de mettre en évidence les possibilités d’amélioration.

Étape n° 6 : s’efforcer de s’améliorer constamment, de manière à vérifier l’utilité des KPI et, le cas échéant, d’apporter des corrections.

Un nouvel espace pour le partage intelligent des données

Une autre raison de suivre la stratégie ci-dessus est que nous disposons des technologies et que les données sont déjà collectées. Les agences douanières et la communauté de la facilitation des échanges sont conscientes du potentiel des pipelines de données. Elles savent que toutes les données nécessaires aux objectifs réglementaires sont capturées dans les systèmes commerciaux bien avant d’être envoyées aux agences gouvernementales[4].

Mais ce n’est pas tout. Pratiquement chaque opération effectuée génère une trace électronique. Le défi consiste à établir quand, et à quelles conditions, il est judicieux d’exploiter ces informations. Quand, et à quelles conditions, les propriétaires de ces données seront-ils disposés à les partager ? Et comment déterminer qui possède quelle information ? Il y a de nombreuses façons d’utiliser des données générées pour mesurer les performances. Il nous faut juste commencer à voir ensemble ce qui est disponible, et à qui ces données pourraient être utiles.

Tremplin

Avant de pouvoir utiliser toutes les données générées par les différents acteurs en vue de faciliter les échanges, il nous faut aussi apprendre comment partager ces données entre parties prenantes. Une première approche pourrait être de créer un répertoire de jeux de données en lien avec la facilitation des échanges. Une sorte d’« annuaire », un endroit où l’on pourrait rechercher qui détient des informations liées aux performances de tel ou tel indicateur, qui possède les informations dont vous avez besoin pour effectuer vos opérations de manière plus fluide, et repérer les pierres d’achoppement. Il arrive qu’un transitaire ait une idée plus claire des performances d’une administration que cette administration elle-même. Notre question est donc la suivante : que faut-il faire pour pouvoir partager ces informations de manière judicieuse au jour le jour ?

Nous aurons besoin d’un soutien institutionnel, émanant par exemple des comités nationaux pour la facilitation du commerce, des groupes consultatifs douaniers et des groupes d’utilisateurs portuaires. En s’appuyant sur les informations dont ils disposent, nous pourrons définir des KPI et en assurer le suivi.

Rien ne doit être parfait d’emblée, mais nous estimons qu’il y a ici matière à recherches. Et, en tant que chercheurs, nous serions heureux de mener des études pilotes subventionnées, peut-être ciblées sur un secteur en particulier, ou sur l’ensemble d’une filière commerciale spécifique. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues !

 

En savoir +
grainger@tradefacilitation.co.uk
duncan.shaw@nottingham.ac.uk

 

Références

[1] Kaplan R.S. et David P Norton, The Balanced Scorecard-Measures That Drive Performance, Harvard Business Review, 1992, p. 71-79

[2] Cantens, T., R. Ireland, et G. Raball, Reform by Numbers, 2012

[3] CEE-ONU, Modèle de référence de la chaîne d’approvisionnement internationale (ISCRM), 2012  http://tfig.unece.org/FR/contents/ISCRM.htm

[4] Hesketh, D., Seamless electronic data and logistics pipelines shift focus from import declarations to start of commercial transaction, World Customs Journal, 2009, p. 27-32

 

À propos des auteurs

 Le Dr Andrew Grainger est un expert de la facilitation des échanges qui nourrit un grand intérêt universitaire pour cette question. Le Dr Duncan R Shaw est un scientifique spécialiste de la qualité des données qui possède une longue expérience dans le secteur privé et le secteur universitaire. Nombre de leurs publications sont accessibles gratuitement par Google Scholar à l’adresse https://scholar.google.co.uk. Les idées défendues dans le présent article ont été exposées pour la première fois en 2017 à la Conférence Picard de l’OMD qui s’est tenue en Tunisie. Les auteurs se réjouissent de recevoir vos commentaires et suggestions. Vous trouverez leurs adresses électroniques en fin d’article.