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De nouvelles approches pour mesurer la corruption et l’éthique

20 octobre 2020
Par Par l'équipe chargée du Programme anti-corruption et de promotion de l’intégrité (A-CPI), Secrétariat de l’OMD

L’OMD a pris plusieurs mesures pour renforcer la culture de la mesure de la performance au sein des douanes. Dans ce cadre, l’accent a notamment été mis sur la manière dont la mesure de la performance peut être utilisée dans la lutte contre la corruption. Le présent article se penche sur les nouveaux dispositifs et méthodes utilisés par l’équipe chargée du Programme anti-corruption et de promotion de l’intégrité pour mesurer la corruption et l’éthique, ainsi que sur les leçons qui ont pu être tirées de cette expérience jusqu’à présent.

 

Lancé en janvier 2019 avec le financement de l’Agence norvégienne de la coopération au développement (Norad), le Programme anti-corruption et de promotion de l’intégrité (A-CPI) de l’OMD vise à améliorer l’environnement commercial au niveau des échanges transfrontaliers en touchant aux contextes opérationnels et administratifs qui favorisent les comportements corrompus et entravent la bonne gouvernance au sein des douanes. Cette initiative se fonde sur les dix éléments constitutifs de la Déclaration d’Arusha révisée de l’OMD concernant la bonne gouvernance et l’éthique en matière douanière. L’équipe du Programme a recours à une gestion basée sur les résultats et a mis au point un système de mesure de la performance axé sur des méthodes et outils divers, tant aux fins de la collecte que de l’analyse des données.

Un domaine qui n’est pas inconnu

La mesure de la performance dans le domaine de l’éthique n’est pas un terrain vraiment nouveau pour l’OMD. Le diagnostic qualitatif entrepris dès 2005 sur la base de son Cadre de diagnostic du renforcement des capacités douanières incluait 90 questions dans le domaine de la bonne gouvernance et de l’éthique.

De plus, en 2010, de concert avec la Banque mondiale, l’OMD a aidé la Douane du Cameroun à introduire un système de contrats de performance afin d’évaluer le personnel douanier en utilisant des données statistiques assorties de divers indicateurs. Les conclusions de cet exercice ont été incorporées dans un nouvel outil d’orientation intitulé Le Pourquoi et le Comment des Contrats de mesure de la performance. Les indicateurs de performance définis à l’époque ont été intégrés au module SYDONIA pour la mesure de la performance (ASYPM), qui extrait automatiquement du système de gestion douanière des données sur la performance.

Enfin, le Guide pour le développement de l’éthique de l’OMD, qui a été révisé en 2014, approfondit le Cadre de diagnostic et inclut un outil d’auto-évaluation composé de 245 questions visant à jauger la situation actuelle en matière d’éthique au sein d’une administration des douanes.

Nouvelles mesures

Même s’il ne s’agit pas vraiment d’une nouvelle discipline, la mesure de la corruption et de l’éthique reste un défi. Comme le souligne le rapport de la Banque mondiale Enhancing Government Effectiveness and Transparency : The Fight Against Corruption, les informations et l’analyse des données pour évaluer les problèmes en matière d’éthique en douane et le suivi des progrès réalisés dans le cadre des réformes pour la lutte contre la corruption sont généralement médiocres.[1]

La corruption est difficile à mesurer. Dans son Guide de l’utilisateur pour mesurer la corruption, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) fait remarquer que « le fait que la corruption prenne diverses formes, allant du détournement de fonds au blanchiment d’argent, en passant par la fraude, le népotisme, les pots-de-vin et l’extorsion, rend impossible toute tentative de la refléter en un seul indicateur. » De plus, il est difficile de jauger l’efficacité ou les effets des initiatives anti-corruption compte tenu de la nature non-linéaire et complexe de l’environnement qui favorise la corruption. Enfin, « la mise au point d’indicateurs de corruption est le plus souvent un processus dynamique »[2]

Malgré ces défis, la mesure reste essentielle pour révéler la nature, la portée et l’impact de la corruption, ainsi que pour élaborer des stratégies de riposte efficaces. Elle reste fondamentale aussi pour focaliser et hiérarchiser les efforts face au manque de ressources. Tous ces éléments ont poussé la communauté internationale à se pencher avec plus d’attention sur les manières de mesurer l’éthique avec plus d’efficacité. Plus récemment, un consensus s’est dégagé sur la nécessité de combiner plusieurs méthodes différentes de mesure, et d’adopter des démarches hybrides afin de permettre une compréhension plus détaillée des règles, des incitants et des environnements qui favorisent la corruption ou l’éthique.

L’ONUDC, par exemple, utilise deux types de méthodes de suivi et d’évaluation des stratégies nationales de lutte anti-corruption : « la première évalue la mise en œuvre et la deuxième se concentre sur l’incidence ». Ces deux méthodes s’alignent sur la nouvelle approche adoptée par Transparency International visant à évaluer l’impact des campagnes de plaidoyer anti-corruption, qui inclut un examen tant des changements politiques intervenus dans le secteur public, le secteur privé et la société civile que des changements comportementaux des individus et des institutions.

Les études disponibles sur la mesure de la corruption reflètent la grande diversité d’approches adoptées, telles que l’analyse statique ou dynamique, les méthodes directes ou indirectes, l’expérience ou la perception, ou encore les indicateurs quantitatifs ou qualitatifs. Chacune de ces démarches comporte ses avantages et ses inconvénients, ses points positifs et négatifs.

Le besoin d’adopter une diversité d’approches est reflété dans le Guide de l’utilisateur pour mesurer la corruption du PNUD, qui propose une large gamme d’outils ainsi que des principes généraux à prendre en considération pour la définition de paramètres solides d’évaluation ou d’appréciation des mesures de lutte contre la corruption, l’accent n’étant plus mis sur la mesure « objective et précise de la corruption » mais plutôt sur une mesure « autour » de la corruption, afin de puiser des données qui seront suffisamment bonnes.

Une nouvelle démarche hybride

Suivant ces pratiques internationales, le Programme A-CPI de l’OMD utilise plusieurs méthodes différentes afin d’évaluer l’incidence des mesures qui ont été mises en œuvre, dans le but ultime d’avoir une idée suffisamment précise de la corruption en douane.

Ces méthodes incluent :

  • la mesure des résultats/de la mise en œuvre : il s’agit de déterminer à quel point les mesures recommandées par l’équipe A-CPI, et par le Secrétariat dans le cadre de l’assistance technique, sont mises en œuvre.
  • la méthode du bilan/de l’incidence : il s’agit d’observer et de mesurer les changements comportementaux, par exemple le niveau de respect des nouvelles politiques ou d’application des nouvelles connaissances acquises.
  • l’analyse statique : les outils de diagnostic, notamment l’outil d’auto-évaluation du Guide pour le développement de l’éthique, sont utilisés pour analyser les éléments statiques des systèmes d’éthique (comme les cadres politiques, les institutions) et pour déterminer les problèmes et les domaines à risque sur lesquels l’équipe du Programme A-CPI devra travailler.
  • l’analyse dynamique : en coopération avec les administrations partenaires, l’équipe du Programme A-CPI relève les catalyseurs environnementaux de la corruption, ainsi que les possibilités et les limites pour y remédier.
  • l’analyse de l’expérience : il s’agit de recueillir les expériences et connaissances individuelles relatives à la corruption.
  • l’analyse de la perception : il s’agit de recueillir les avis des individus.

Les données tant quantitatives que qualitatives sont rassemblées à travers trois grands procédés :

  • l’examen des documents et autres matériels : les administrations partagent les documents stratégiques, les politiques et tout autre matériel pertinent dans le but d’offrir un aperçu des systèmes de promotion de l’éthique en place.
  • les évaluations facilitées : en recourant à l’outil d’auto-évaluation du Guide pour le développement de l’éthique de l’OMD, les experts de l’OMD et le personnel de l’administration travaillent ensemble pour dresser un état des lieux en matière d’éthique au sein de chaque administration.
  • l’enquête : une enquête sur la perception de l’éthique douanière a été élaborée et testée dans le cadre du Programme A-CPI afin d’obtenir des informations plus détaillées sur la manière dont sont perçus les efforts déployés par les administrations pour promouvoir l’éthique et lutter contre la corruption, et afin de recueillir expériences et données sur les comportements existants.

À ce jour, l’enquête a été menée dans dix des pays participant au Programme. Au total, 2 793 représentants du secteur privé et 3 019 douaniers ont été interrogés. Afin de surmonter certains des problèmes rencontrés habituellement durant les enquêtes visant à mesurer la corruption, le questionnaire a été élaboré suivant deux grands principes :

  • chaque question a été conçue de manière à recueillir des informations sur lesquelles un Directeur général des douanes peut agir ou prendre une décision. L’objectif est d’éviter de recueillir des données cumulées qui ne fournissent pas suffisamment d’informations spécifiques ou qui offrent des renseignements qui ne sont pas pertinents pour les douanes et leurs activités, et donc sur lesquelles il est impossible d’agir.
  • les questions ont été déclinées suivant les dix éléments constitutifs de la Déclaration d’Arusha révisée afin de contribuer à la détermination des priorités pour chaque administration et optimiser ainsi l’utilisation de ressources limitées.

Il convient de noter que l’enquête n’a pas vocation à être utilisée à des fins de comparaison entre pays. La plupart des variables résultat de l’enquête sont ordinales et une échelle à 4 points a été appliquée afin de permettre une analyse quantitative de la performance. Les résultats forment une base de référence et l’idée est de mener plus tard à nouveau l’enquête afin de permettre aux administrations de mesurer les changements et l’impact des mesures prises.

Modèle et enseignements tirés

Le modèle de mesure de l’éthique qui s’est dégagé est donc hybride et fondé sur les principes d’appropriation et de participation des parties prenantes. Tous les Membres de l’OMD peuvent s’y référer. Plusieurs enseignements leur seront utiles.

Tout d’abord, la mise en place du modèle hybride se fait sur la durée. La collecte d’informations via les diverses méthodes de mesure de l’éthique (révision du matériel, évaluation facilitée et enquête) prend un certain temps. L’équipe du Programme A-CPI a consacré sa première année exclusivement à ce processus, aussi connu comme « phase de délimitation de la portée du projet ». Les Membres de l’OMD ne doivent pas s’attendre à trouver des indicateurs universels en matière d’éthique. De la même manière, ils ne doivent pas non plus espérer pouvoir rassembler toutes les données nécessaires du jour au lendemain.

Ensuite, l’appropriation est un facteur clé : il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les initiatives internationales et les indices de corruption tendent à n’avoir qu’une incidence ou une utilité limitée pour les décideurs politiques et les exécutants. L’une d’elles est le manque d’appropriation au niveau national. Lorsqu’elles entament le Programme A-CPI de l’OMD, les administrations deviennent de véritables partenaires et signent une lettre d’intention établissant clairement leur rôle dans la collecte et l’utilisation des données pour la mesure de l’éthique. Les administrations interviennent directement dans l’élaboration de leur cadre de résultats respectif, ainsi que dans le déploiement de chaque phase (révision de matériels, évaluations facilitées et enquêtes).

Enfin, la participation des parties prenantes, surtout du secteur privé, dans le processus de mesure est fondamentale. L’OMD a toujours plaidé en faveur de partenariats pour lutter contre la corruption et renforcer l’éthique, et une telle approche est d’ailleurs stipulée dans la Déclaration d’Arusha révisée. L’OMD a notamment encouragé les administrations des douanes à avoir recours à « l’action collective ». L’équipe du Programme A-CPI implique donc des représentants du secteur privé, d’autres agences gouvernementales et, le cas échéant, les acteurs de la société civile dans le processus de mesure de la corruption. Non seulement cette approche renforce l’appropriation par les divers acteurs du projet au niveau national et sa crédibilité, mais elle facilite aussi énormément la mise en place des mesures de réforme qui en résultent.

Ces enseignements et bien d’autres seront utilisés pour revoir le Guide pour le développement de l’éthique, ce qui permettra à toutes les administrations qui souhaitent renforcer leur processus d’évaluation de bénéficier de l’expérience acquise dans le cadre du déploiement du Programme. De plus, la méthodologie d’enquête, le questionnaire, le processus de mise en œuvre et la méthode d’analyse seront revus, les premières enquêtes menées ayant permis de déterminer comment les améliorer. Ces éléments seront mis à la disposition de tous les Membres de l’OMD sur demande.

Des ajustements au processus d’enquête pourront s’avérer nécessaires, en particulier pour réduire les contacts physiques compte tenu de la pandémie de COVID-19. Il convient de noter que l’équipe du Programme A-CPI travaille à distance avec les administrations bénéficiaires depuis le début de l’épidémie, adaptant ses modalités de formation et de développement des capacités afin de leur garantir une assistance continue. Alors que le Programme se poursuit, tous les Membres de l’OMD peuvent désormais profiter des enseignements tirés sur la manière de mesurer l’éthique dans l’environnement douanier.

 

En savoir +
capacitybuilding@wcoomd.org

[1] “Corruption in Customs: How can it be Tackled?”, Odd-Helge Fjeldstad, Ernani Checcucci Filho et Gaël Raballand, chapitre 4 in Bernard Myers & Rajni Bajpai (Eds.), Global Report on Anti-Corruption 2020, Banque mondiale.

[2]   “Measuring Corruption Indicators and Indices”, article paru dans le SSRN Electronic Journal · janvier 2014, Debora Valentina Malito (2014). Measuring Corruption Indicators and Indices. SSRN Electronic Journal. 10.2139/ssrn.2393335.