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Dossier

Les prix de transfert : comprendre les pratiques des multinationales

21 octobre 2020
Par William M. Methenitis, ancien partenaire et leader du cabinet Commerce mondial à EY

Un travail important a été abattu au cours des 15 dernières années sur la « convergence » entre les prix de transfert aux fins de l’impôt sur le revenu et l’évaluation en douane. Les règles sur la fiscalité des revenus et les dispositions douanières ont un même objectif : s’assurer que les prix entre parties liées restent des prix de pleine concurrence et soient établis comme si aucun lien n’existait entre les deux parties. Pourtant, les règles sont différentes. Les règles portant sur les prix de transfert aux fins de l’impôt sur le revenu se fondent, dans la majorité des pays, sur les principes directeurs de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE)[1]. Les fondements de l’évaluation en douane sont, quant à eux, établis dans l’Accord de l’OMC sur l’évaluation en douane (ci-après l’Accord)[2]. En outre, les centres d’attention des administrations fiscales et douanières sont différents : un prix de transfert plus élevé aboutit généralement à un droit de douane élevé mais à un faible impôt sur le revenu tandis qu’un prix de transfert plus bas aboutit à des droits de douane plus faibles mais à des impôts plus élevés sur le revenu.

Les objectifs de convergence visent à offrir plus de certitude aux entreprises d’une part, afin de s’assurer que la démarche qu’elles adoptent pour établir leurs prix satisfera tant les administrations fiscales que douanières, et aux gouvernements d’autre part, pour leur permettre de garantir une certaine cohérence dans l’approche qu’ils adoptent pour aboutir au prix adéquat et à la perception appropriée de taxes, tant au niveau de l’impôt sur le revenu que des droits de douane. Les efforts de convergence ont commencé à l’occasion de deux conférences conjointement parrainées par l’OMD et l’OCDE en 2006 et en 2007, qui ont été suivies par l’établissement d’un groupe d’experts ad hoc appelé « Groupe spécialisé sur les prix de transfert ». Composé de membres du secteur public et du secteur privé, le Groupe avait pour tâche de relever les problèmes spécifiques et de proposer de possibles solutions. Il a élaboré des recommandations à l’intention du Comité technique de l’évaluation en douane (CTED)[3], qui lui-même a adopté plusieurs instruments afin d’apporter des orientations sur l’utilisation des documents relatifs aux prix de transfert pour évaluer le prix en douane,[4] et continue à travailler sur des orientations avec la contribution tant de l’OCDE que de la Chambre de commerce internationale. Il convient de noter aussi que l’OMD a publié en 2015 le « Guide de l’OMD sur l’évaluation en douane et les prix de transfert » qui a été actualisé en 2018.[5]

Ces travaux ont permis aux administrations fiscales et douanières, mais aussi aux professionnels du secteur privé, de mieux comprendre les deux disciplines. Il reste toutefois certaines lacunes à combler en matière d’informations. Si les multinationales fixent des prix interentreprises suivant les principes de l’OCDE et élaborent des documents justificatifs qui peuvent être utiles aux douanes, ces derniers sont souvent très volumineux et ne comportent pas les quelques informations importantes permettant de mener à terme une évaluation en douane. Afin d’éclairer la question, le présent article explique la démarche la plus communément suivie pour déterminer les prix de transfert et répertorie les informations qui sont souvent nécessaires à la douane pour combler les lacunes.

Établir les prix – les importations par les distributeurs

Les multinationales établissent normalement une entité autonome chargée de la distribution dans chaque pays où leurs marchandises sont vendues. Ce distributeur étant l’importateur des marchandises vendues sur un marché donné, nous l’appellerons l’importateur. Même si la multinationale effectue de multiples opérations dans un même pays (comme, par exemple, la fabrication, la distribution, les activités de recherche et de développement), ces opérations sont généralement présentées de manière séparée dans la comptabilité et les prix de transfert sont donc déterminés pour chaque opération.

Les principes de l’OCDE proposent cinq méthodes de détermination des prix de transfert et invitent le contribuable à les examiner à titre individuel afin de jauger celle qui correspond le mieux à sa situation. Dans la pratique, la méthode de l’OCDE qui convient le mieux à l’importation de produits pour leur distribution est la méthode de la marge transactionnelle nette ou MTMN.[6] Cette méthode requiert d’établir un profil commercial de l’importateur, l’accent étant mis sur les fonctions assurées, les risques commerciaux assumés et les actifs déployés.[7] Ensuite, une recherche est menée afin de trouver des données financières concernant des entreprises indépendantes (qui font affaire avec des parties non liées) dont le profil commercial correspond à celui de l’importateur. Les cabinets comptables menant des études sur les prix de transfert ont recours à des bases de données de renseignements, par exemple sur les déclarations de valeurs mobilières, qui sont disponibles moyennant un abonnement.[8] Les recherches dans les bases de données sont généralement menées sur la base du Standard Industrial Classification (classification normalisée des industries) de l’importateur et les résultats sont affinés en passant en revue les données rassemblées.

Sur la base des résultats obtenus, un jeu d’indices de référence est élaboré représentant les bénéfices engrangés par les sociétés « comparables » du point de vue de leur profil commercial. Si les bénéfices de l’importateur entrent dans la marge bénéficiaire de référence, l’importateur est considéré comme faisant affaire avec une partie liée en conditions de pleine concurrence, c’est–à-dire que les bénéfices de l’importateur sont les mêmes que ceux d’autres entreprises faisant affaire avec des parties non liées en conditions de pleine concurrence. Par contre, si les bénéfices de l’importateur ne s’inscrivent pas dans la marge de référence, l’importateur est obligé d’ajuster le prix payé pour les marchandises importées afin de ramener ses bénéfices à cette même marge. Donc, si les bénéfices de l’importateur sont trop élevés (ou au-dessus de la marge), ce dernier doit verser au vendeur lié un montant supplémentaire afin de ramener ces bénéfices à une valeur entrant dans la marge de référence. Si, par contre, ces bénéfices sont trop bas (en dessous de la marge), le vendeur rembourse l’importateur, réduisant ainsi le prix payé par l’importateur et augmentant son bénéfice par la même occasion. Il est entendu que les dividendes de l’importateur et des sociétés comparables doivent être calculés de la même manière et, dans le domaine des prix de transfert, on parle alors d’indicateur de niveau de bénéfice ou INB. Pour la méthode transactionnelle de la marge nette, l’INB le plus fréquemment utilisé est la marge d’exploitation, c’est-à-dire le rapport entre le résultat d’exploitation (avant intérêts et taxes) et le chiffre d’affaires (recettes brutes), exprimé en pourcentage.

Évaluation en douane

Les règles d’évaluation en douane sont énoncées dans l’Accord de l’OMD qui sert de fondement à l’évaluation dans tous les pays membres de l’Organisation. Bien qu’il existe quelques différences au niveau linguistique dans la législation locale, et au niveau de l’interprétation entre les administrations des douanes, les règles fondamentales restent les mêmes.

Bien que l’Accord de l’OMC et les principes directeurs de l’OCDE aient été élaborés à peu près au même moment, ils l’ont été séparément. L’Accord institue la valeur transactionnelle, soit le prix effectivement payé ou à payer pour un produit importé, en tant que méthode préférée pour l’établissement de la valeur en douane. La valeur transactionnelle est acceptée pour les ventes entre parties liées à condition que le prix n’ait pas été influencé par le lien entre les parties. Cet élément est avéré en examinant les circonstances propres à la vente ou si l’importateur est en mesure de présenter des « valeurs critères ». Dans la pratique, à l’exception des ventes de certains produits spécifiques, il existe rarement des valeurs critères. Par conséquent, afin qu’un importateur ne recoure qu’à une seule et même démarche tant en matière de prix de transfert qu’à des fins douanières, il doit pouvoir démontrer que l’établissement du prix suivant l’approche des prix de transfert répond bien au critère des « circonstances propres à la vente ».

Il n’existe pas de formule arrêtée pour évaluer les « circonstances propres à la vente ». Les notes interprétatives de l’Accord offrent trois exemples concrets de la manière dont un importateur peut montrer que le lien entre les parties n’a pas influencé le prix.

1) s’il peut être prouvé que le prix a été arrêté de manière compatible avec les pratiques normales de fixation des prix dans la branche de production en question ;

2) s’il peut être prouvé que le prix a été arrêté de manière compatible avec la façon dont le vendeur arrête ses prix pour les ventes à des acheteurs qui ne lui sont pas liés ;

3) s’il peut être prouvé que le prix est suffisant pour couvrir tous les coûts et assurer un bénéfice représentatif du bénéfice global réalisé par l’entreprise sur une période représentative pour des ventes de marchandises de la même nature ou de la même espèce.[9]

Examen par la douane des circonstances propres à la vente

Dans la pratique et dans l’ensemble, lorsqu’une administration douanière examine les prix de transfert d’un importateur déterminés en suivant la méthode transactionnelle de la marge nette, elle peut généralement s’attendre à ce que la valeur imposable soit élevée. En tant que distributeur, l’importateur n’assume normalement que le risque lié à la vente des marchandises sur son marché. La plus grande partie du « risque entrepreneurial » d’un groupe se situe au niveau de la fabrication, de la recherche et du développement, ou encore de la chaîne logistique, et est supportée par les autres entités du dit groupe. En conséquence, l’importateur n’a droit qu’à un bénéfice modeste pour ses activités, comme ce serait le cas pour tout distributeur correspondant au profil commercial de l’importateur. Il n’est pas inhabituel, par exemple, dans une étude de référence sur les prix de transfert, que la marge bénéficiaire du distributeur se situe entre 2 % et 6 %. Cela veut dire que la valeur à l’importation doit être suffisamment élevée pour permettre ce petit bénéfice – si le bénéfice venait à être un tant soit peu plus élevé, l’importateur se verrait imposer un paiement supplémentaire au vendeur afin de réduire ce bénéfice. Dans la pratique, le prix à l’importation est aussi élevé que possible pour autant qu’il n’exige pas de l’importateur qu’il revende les produits à perte, puisqu’un tel prix ne représenterait clairement pas un prix de vente convenu entre des parties non liées.

En général, la douane devrait être satisfaite du résultat présenté par un importateur qui utilise la méthode transactionnelle de la marge nette. Toutefois, afin d’examiner de manière adéquate les circonstances propres à la vente en vue de déterminer si le lien entre les parties n’a pas influencé le prix et que le prix de transfert permet d’aboutir à la valeur transactionnelle, l’importateur doit fournir des renseignements complémentaires, outre les documents justificatifs concernant la détermination des prix de transfert. Quatre questions se posent alors en règle générale. Les importateurs précautionneux ont tout intérêt à se préparer à répondre à ces questions et la douane devrait être prête à passer en revue les renseignements qui lui seront fournis en réponse. Les quatre questions sont :

  • Sur quelle base la douane peut-elle accepter une valeur transactionnelle qui n’est pas fermement établie au point d’importation ?
  • Comment la douane peut-elle établir un lien entre la méthode de la détermination du prix de transfert et une évaluation des « circonstances propres à la vente » ?
  • Comment la douane peut-elle confirmer que les parties suivent réellement la méthode transactionnelle de la marge nette et que la méthode aboutit à la valeur transactionnelle ?
  • Comment l’importateur fait-il rapport des ajustements entrepris en lien avec le prix de transfert afin de ramener les bénéfices dans la marge acceptée ?

Clause de révision de prix – établissement des prix fondé sur une formule

L’un des premiers instruments adoptés par le CTED est le Commentaire 4.1 – Clauses de révision de prix. Le Commentaire 4.1 couvre les situations dans lesquelles les prix sont établis provisoirement au moment de l’importation pour être déterminés de manière définitive après l’importation, suivant des variables qui sont inconnues au moment de l’importation. Le Commentaire 4.1 conclut que, puisque l’Accord accorde la préférence à la valeur transactionnelle et que l’article 13 stipule que la détermination définitive de la valeur peut être différée et que l’importateur pourra retirer ses marchandises de la douane à condition de fournir une garantie sous la forme d’une caution ou d’un dépôt, les importations dont le prix sera déterminé après l’importation peuvent être évaluées suivant la méthode de la valeur transactionnelle.

Dans les faits, l’importateur qui établit ses prix en fonction de la méthode transactionnelle de la marge nette importe ses marchandises en vertu d’une formule qui est établie au moment de l’importation mais qui comporte des variables (à savoir les dépenses d’exploitation réelles) qui restent inconnues jusqu’à la clôture de la période de facturation.[10] Ce n’est que lorsque les variables sont connues que le prix des marchandises achetées auprès de parties liées peut être calculé. Le prix juste est celui qui aurait dû être payé au vendeur lié afin que les bénéfices de l’importateur restent dans la marge bénéficiaire de référence de sociétés comparables.

De nombreux pays acceptent normalement cette approche mais il convient de signaler qu’un arrêt de la Cour de justice européenne de 2017, dans l’affaire Hamamatsu, pose quelques questions sur la manière dont les clauses de révision de prix devraient être évaluées dans l’UE. La Cour dit en effet pour droit :

« Les articles 28 à 31 [du code des douanes communautaire, dans la version en vigueur] doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne permettent pas de retenir, comme valeur en douane, une valeur transactionnelle convenue qui se compose, pour partie, d’un montant initialement facturé et déclaré et, pour partie, d’un ajustement forfaitaire opéré après la fin de la période de facturation, sans qu’il soit possible de savoir si, en fin de période de facturation, cet ajustement sera opéré à la hausse ou à la baisse ».[11]

Actuellement, les administrations des douanes de l’UE n’ont pas une vision commune de l’incidence de l’affaire Hamamatsu sur l’établissement de prix conformément à la méthode transactionnelle de la marge nette. Des orientations supplémentaires seraient utiles tant pour le secteur privé que pour les douanes.

Établir le lien entre les prix de transfert et les circonstances propres à la vente

Comme indiqué dans le rapport du Groupe spécialisé au CTED et comme ce dernier le reconnaît dans son Commentaire 23.1, le cadre des « circonstances propres à la vente » est assez large et peut inclure un examen des documents concernant les prix de transfert afin d’étayer l’hypothèse que le lien entre les parties n’a pas influencé le prix. Comme nous l’avons remarqué plus haut, les Notes interprétatives offrent des exemples non exhaustifs des manières dont un importateur peut satisfaire aux exigences du critère des « circonstances propres à la vente ». Deux exemples sont particulièrement pertinents pour la méthode transactionnelle de la marge nette :

1) s’il peut être prouvé que le prix a été arrêté de manière compatible avec les pratiques normales de fixation des prix dans la branche de production en question ;

2) s’il peut être prouvé que le prix est suffisant pour couvrir tous les coûts et assurer un bénéfice représentatif du bénéfice global réalisé par l’entreprise sur une période représentative pour des ventes de marchandises de la même nature ou de la même espèce.

Même si ces exemples ne sont pas exhaustifs, dans la mesure où ils existent depuis l’adoption de l’Accord, ils servent souvent de cadre de référence aux administrations des douanes. L’étude de cas 14.1 du CTED utilise le premier exemple en tant que cadre de référence pour examiner les circonstances propres à la vente. Cet instrument, qui passe en revue une étude sur la détermination du prix de transfert conformément à la méthode transactionnelle de la marge nette et où les entreprises comparables de référence déploient leurs activités dans le même secteur que l’importateur, conclut que le prix à l’importation a été fixé conformément aux pratiques normales dans cette branche de production.

Le Guide de l’OMD sur l’évaluation en douane et les prix de transfert contient une section abordant la manière dont la détermination du prix de transfert fondée sur la méthode transactionnelle de la marge nette peut être utilisée à l’appui du deuxième exemple.[12] Après avoir indiqué que cet exemple se réfère au bénéfice du vendeur, le Guide ajoute que : « les renseignements que l’on peut déduire du bénéfice de l’importateur peuvent potentiellement donner à la douane l’assurance que le bénéfice de l’exportateur/vendeur est acceptable ». Le Guide illustre ensuite cet argument.

Puisque les exemples portant sur les « circonstances propres à la vente » ne sont pas exhaustifs, il est aussi possible d’examiner les données financières de l’importateur sous la perspective d’une autre méthodologie d’évaluation en douane. Un importateur qui établit ses prix avec la méthode transactionnelle de la marge nette engrangera un bénéfice équivalent à celui d’autres distributeurs présentant les mêmes attributs. Si l’importateur enregistre une marge bénéficiaire normale, les résultats financiers annuels peuvent être réorganisés sous un format aligné sur la valeur déductive, comme le prévoit l’article 5. Même s’il ne s’agit pas vraiment d’utiliser la méthode de la valeur déductive, qui s’applique individuellement à chaque importation, ce type d’examen peut servir à établir une « valeur déductive notionnelle » pour tous les produits vendus durant l’année. Le recours au cadre de la valeur déductive de l’article 5 pour évaluer les circonstances propres à la vente représente donc une autre façon pour les douanes d’utiliser les données sur les prix de transfert.

Confirmer que la MTMN est suivie, corroborer les résultats concernant la valeur transactionnelle

Les études sur les prix de transfert suivent une structure commune, certaines étant pertinentes aux fins de l’examen des circonstances propres à la vente par la douane, d’autres pas. Depuis la publication des instruments du CTED et du « Guide de l’OMD sur les prix de transfert », il est plus courant que les importateurs préparent un supplément aux études sur les prix de transfert, expliquant comment les documents relatifs aux prix de transfert peuvent être utilisés par la douane pour jauger les circonstances propres à la vente.

Qui plus est, l’importateur doit aussi fournir des renseignements qui ne sont pas exigés au titre des règles sur l’impôt sur le revenu afin de permettre aux douanes de vérifier que le résultat sera bien la valeur transactionnelle. Nous reprenons ci-après les quelques éléments d’informations complémentaires qui sont le plus couramment demandés :

  1. Toutes les importations sont-elles bien couvertes par la politique de détermination des prix de transfert ?

Seules les importations soumises à la méthodologie des prix de transfert peuvent être couvertes par les documents justificatifs sur les prix de transfert qui sont soumis pour étayer la valeur transactionnelle.

2. L’ajustement a-t-il une incidence sur le coût des marchandises vendues (CVM) ?

L’ajustement du prix de transfert doit changer le prix effectivement payé pour les marchandises pour avoir une incidence sur la valeur transactionnelle. En somme, l’ajustement doit être comptabilisé par l’importateur d’une manière qui ait une incidence directe sur le CVM dans les états financiers. Un ajustement effectué sur un compte différent ou « à des fins fiscales uniquement » et qui n’a jamais d’incidence sur le prix effectivement payé ne peut permettre d’aboutir à la valeur transactionnelle.[13] Comme indiqué clairement dans l’étude de cas 14.2, il est évident que si un ajustement de prix de transfert est exigé, il doit effectivement être effectué afin d’arriver à la valeur transactionnelle.

3. L’ajustement du prix de transfert a-t-il été appliqué à toutes les importations, de manière cohérente tant à des fins fiscales que douanières ?

Le prix de transfert n’a vocation qu’à déterminer la marge bénéficiaire totale de pleine concurrence pour l’année. Étant donné que les taux des droits de douane varient selon le produit, toutefois, il ne serait pas approprié qu’un importateur décide, de manière sélective, des prix d’importation qu’il convient d’ajuster. Un importateur pourrait en effet manipuler le système, en réduisant le prix des articles frappés d’un taux de droit élevé et en augmentant celui des articles soumis à des faibles taux de droit, tout en faisant en sorte que sa marge bénéficiaire totale reste dans l’intervalle de pleine concurrence. Il n’existe toutefois pas de démarche unique pour apprécier les bénéfices de l’importateur par rapport à l’intervalle de référence pour les prix de transfert. Certains importateurs, par exemple, séparent les produits par catégorie et examinent chaque catégorie à titre individuel, pour être sûrs que les bénéfices pour chacune d’elles entrent bien dans l’intervalle. Les importateurs disposant de plusieurs marques évaluent souvent chaque marque séparément. Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise manière de procéder. L’important, du point de vue de la douane, est de faire en sorte que l’ajustement qui résulte d’une évaluation du prix de transfert, quelle que soit la catégorie de produits examinée (par exemple, tous les produits, une famille de produits ou une marque), soit alloué de manière égale pour tous les produits relevant de cette catégorie. De cette manière, il ne peut y avoir de manipulation abusive des bénéfices pour la détermination des droits à acquitter.

Rapporter les ajustements concernant les prix de transfert

Les études de cas 14.1 et 14.2 du CTED impliquent clairement que le prix tel qu’ajusté représente la valeur transactionnelle, c’est-à-dire que le prix ajusté est bien le prix effectivement payé pour les marchandises. Si l’Accord envisage la mainlevée des marchandises avant la détermination définitive de la valeur, il ne prévoit aucune procédure pour faire rapport des ajustements de prix. Cet élément relève de la législation nationale. Certains pays prévoient des procédures formelles pour le rapport des ajustements alors que d’autres ont mis au point des approches informelles, permettant aux déclarants de déclarer des valeurs provisoires et de fournir les valeurs définitives plus avant.[14] Le Guide de l’OMD présente plusieurs initiatives nationales[15] et le CTED a examiné diverses approches nationales individuelles.

Pour la petite histoire, les entreprises signalent que leurs possibilités de faire rapport adéquatement des ajustements sont meilleures dans les pays disposant de règles formelles. Les pays ayant adopté des procédures de rapport formelles pourraient bien bénéficier d’une plus grande conformité et, donc, d’un recouvrement accru de droits, comparé aux pays qui n’ont pas encore formalisé leurs pratiques à cet égard. Il serait très utile, tant pour le secteur privé que pour les douanes, que l’OMD et le CTED engagent des travaux complémentaires à ce sujet.

Conclusion

Les prix de transfert en soi sont un sujet complexe et leur utilisation à l’appui de l’évaluation en douane vient ajouter une couche de complexité à cette thématique. Cela étant, la convergence entre ces deux disciplines ne pourra qu’être profitable aux administrations douanières et aux importateurs, pour autant que les premières comprennent mieux l’approche la plus couramment utilisée pour déterminer le prix de transfert des marchandises importées et que les derniers comprennent mieux quels sont les renseignements supplémentaires exigés par la douane afin de conclure son examen des circonstances propres à la vente.

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william.methenitis@ey.com

Sur l’auteur

William Methenitis est un ancien partenaire et leader du cabinet Commerce mondial à EY. Aujourd’hui à la retraite, il poursuit ses activités de consultant auprès du cabinet EY et est également juriste en commerce international au sein de Charter Brokerage, LLC. Il représente l’ICC en tant qu’observateur au Comité technique de l’évaluation en douane et au sein du Groupe spécialisé sur les prix de transfert et l’évaluation en douane de l’OMD/OCDE.

[1] L’OCDE est une organisation intergouvernementale composée de 37 pays membres représentant plus de 80% du commerce mondial. Les principes de l’OCDE en matière de prix de transfert peuvent être consultés en suivant le lien https://www.oecd.org/fr/fiscalite/prix-de-transfert/principes-de-l-ocde-applicables-en-matiere-de-prix-de-transfert-a-l-intention-des-entreprises-multinationales-et-des-administrations-20769723.htm

[2] L’Accord sur la mise en œuvre de l’article VII de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 peut être consulté en suivant le lien http://www.wcoomd.org/fr/topics/valuation/overview/wto-valuation-agreement.aspx

[3] Le CTED a été institué conformément aux dispositions de l’article 18 de l’Accord, en vue d’apporter des directives pour assurer l’uniformité d’interprétation et d’application dudit l’Accord.

[4] Le commentaire 23.1 et les études de cas 14.1 et 14.2 sont abordés plus avant dans le présent article. Tous ces documents peuvent être consultés en suivant le lien http://www.wcoomd.org/fr/topics/valuation/instruments-and-tools.aspx

[5] L’OMD fournit le détail des travaux sur la convergence et les documents afférents sous le lien http://www.wcoomd.org/fr/topics/valuation/activities-and-programmes/customs-valuation-and-transfer-pricing.aspx.

[6] Principes de l’OCDE sur les prix de transfert, chapitre II, Partie III B. Aux États-Unis, la MTMN correspond à la méthode des bénéfices comparables ou CPM, de son acronyme anglais.

[7] Les principes de l’OCDE stipulent que le profil commercial tant de l’acheteur que du vendeur soit examiné afin de déterminer la partie dont le fonctionnement est le moins complexe et qui peut donc être évaluée de la manière la plus fiable. Il s’agit presque toujours de l’importateur et le présent article se base sur cette hypothèse.

[8] Parmi les bases de données, citons Amadeus, Orbis, Thomson-Reuters, Compustat de Standard & Poor’s et Oriana.

[9] Note interprétative 3 à l’article premier, paragraphe 2.

[10] La période de facturation correspond généralement à l’exercice fiscal mais elle peut également être plus courte. Par exemple, certains importateurs procèdent à des ajustements mensuels ou trimestriels.

[11] Affaire Hamamatsu Photonics Deutschland GmbH contre Hauptzollamt München, C‑529/16, 20 décembre 2017 (disponible sous le lien
http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=198053&text=&dir=&doclang=FR&part=1&occ=first&mode=DOC&pageIndex=0&cid=16726698).

[12] Section 5.2.2, pp 69-71.

[13] Certaines administrations fiscales donnent la possibilité au contribuable de procéder à un ajustement du prix de transfert directement sur le revenu imposable d’une déclaration fiscale sans effectuer pour autant un transfert réel d’argent en espèces. L’ajustement « uniquement à des fins fiscales » ne change pas le prix effectivement payé ou à payer et par conséquent, il n’est pas pris en compte aux fins de la valeur transactionnelle.

[14] Parmi les pays prévoyant des procédures formelles figurent l’Australie, le Canada, les États-Unis et le Mexique. Les pays ayant adopté des processus informels sont notamment les Pays-Bas, le Royaume-Uni et Singapour.

[15] Annexe I, pp 80-83.