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Dossier

Le rôle double et dynamique des droits de douane : du pourquoi et du comment des taux ad rem et ad valorem

21 octobre 2020
Par Leonardo Macedo, juge, Cour administrative des impôts et des douanes (CARF), Brésil

Après la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs nations partageant une même vision ont cherché à créer un système commercial mondial qui contribuerait à promouvoir la paix et la prospérité à travers une plus grande intégration économique. Cet effort a abouti à l’Accord général sur les tarifs douaniers (GATT) qui exigeait de ses signataires de consolider leurs droits de douane à des niveaux plus bas et de les appliquer d’une manière non discriminatoire (suivant le principe que celui qui accorde une concession doit l’accorder à tous les autres).

Les décideurs faisaient alors valoir que la diminution des droits de douane favoriserait la prévisibilité des échanges mondiaux, réduirait les prix pour les consommateurs et aiderait les entreprises à prendre des décisions à long terme sur la manière d’investir et d’organiser leurs activités à l’étranger. En 1995, suivant le cycle d’Uruguay du GATT, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été créée pour surveiller les consolidations tarifaires et pour gérer un système mondial de règles commerciales.

Or, aujourd’hui, ces mêmes droits de douane sont au centre de différends commerciaux qui risquent de porter préjudice à l’économie mondiale. Les États-Unis se plaignent de ne pas être traités équitablement parce qu’ils sont liés par des tarifs plus élevés alors que leurs partenaires commerciaux ne sont pas disposés à réduire les leurs. En 2019, le taux consolidé moyen des droits des États-Unis s’élevait à 3,4%, ce qui le situe parmi les plus faibles des plus grands pays développés et il convient de noter qu’il est resté inchangé pendant plus d’une décennie.

Les États-Unis ont donc décidé d’accroître les droits à l’importation pour quelques-uns de leurs partenaires commerciaux, notamment la Chine, le Canada, le Mexique et l’Union européenne, et cette tactique agressive est en train de changer le paysage commercial international. Pour défendre la politique commerciale des États-Unis, Robert E. Lighthizer, représentant états-unien du commerce, a déclaré que les résolutions sur les droits de douane sont « dépassées » et que les États-Unis doivent « s’assurer que les tarifs reflètent les réalités économiques actuelles pour protéger nos exportateurs et travailleurs ».

S’il est vrai que le retour des droits de douane n’est pas de bon augure, il est essentiel de reconnaître que la discussion sur les tarifs ne peut plus être évitée. Malheureusement, pour le moment, la couverture que les médias réservent à cette question manque de profondeur. Le discours qui prévaut fait la part belle aux bons et aux méchants suivant un scénario pour le moins médiocre.

Il est bon de rappeler qu’en déclenchant l’article XXVIII du GATT, une nation peut choisir les produits dont elle veut relever les taux de droits au-dessus des niveaux qu’elle a convenus lorsqu’elle a rejoint l’OMC. Elle doit notifier les membres de l’OMC qu’elle entend augmenter certains taux consolidés de droits spécifiques, fournir des statistiques commerciales sur trois ans pour chacune des lignes tarifaires renégociées et encourager tout pays ayant un intérêt substantiel à entamer des négociations pour obtenir des concessions en retour. Tout membre touché par une telle mesure peut demander une compensation pour remédier à la perte de ses concessions commerciales, qui ne se limitent pas aux droits de douane mais peuvent inclure des obstacles non tarifaires tels que les règles couvrant la sécurité alimentaire ou animale et d’autres règlements techniques. Toute concession convenue doit être accordée à tous les autres membres de l’OMC eu égard au principe de non-discrimination. Si les membres n’arrivent pas à un accord sur les compensations, le pays peut fixer de manière unilatérale ses nouveaux taux de droits consolidés. Toute nation affectée a le droit de riposter en imposant des tarifs ou d’autres restrictions commerciales sur ce pays.

Dans un tel contexte, je crois qu’une recherche et une enquête plus approfondies s’imposent afin de déterminer si les tarifs appliqués remplissent leur fonction. Il serait utile à cet effet de se pencher notamment sur la nature dynamique des droits de douane et sur le fait qu’il existe différents types de tarifs qui doivent être utilisés adéquatement selon les circonstances commerciales, pour établir en définitive des droits équitables et propices à la libéralisation du commerce. En bref, nous devons aller au-delà des discussions sur les pourcentages élevés ou faibles de droits.

Le présent article défend l’idée que les droits de douane doivent être utilisés comme des outils dynamiques et que, en tant que tels, ils exigent d’être réévalués périodiquement. Il s’attarde ensuite sur les types de droit les plus connus, à savoir les droits ad rem et les droits ad valorem. Enfin, il offre quelques pistes sur l’utilisation de chacun de ces types de droit.

Fonction des droits tarifaires – un rôle double et dynamique

Les analystes économiques font souvent la distinction entre deux types de fonctions concernant les droits : les droits sont conçus soit comme source de recettes, soit comme moyen de protection. En d’autres termes, les premiers visent à recouvrer de l’argent pour le gouvernement, alors que les derniers ont vocation à gonfler les prix des marchandises importées et à protéger les industries nationales de la concurrence étrangère.

Cette explication est toutefois trop simple pour un sujet si complexe et pourrait donner lieu à de fausses conclusions. En effet, ces deux fonctions ne s’excluent pas mutuellement et le but d’un droit tarifaire peut changer avec l’évolution du paysage économique dans une branche d’activité donnée. Dans son ouvrage « Histoire mondiale de la Douane et des tarifs douaniers », le professeur Hinorori Asakura remarque d’ailleurs que les économistes ont souvent un doute quant à la fonction exacte des droits de douane.

Il est donc essentiel de comprendre que les tarifs sont par nature dynamiques et en constante mutation. Par exemple, un droit de douane visant à offrir une source de revenus à partir d’une marchandise extraite ou produite exclusivement à l’étranger peut servir d’instrument de protection une décennie plus tard, lorsque la même marchandise est produite ou extraite au niveau national comme conséquence des progrès technologiques ou de l’évolution des procédés industriels. Une plante qui n’était pas cultivée dans un pays à l’époque où le droit a été établi peut en effet être cultivée avec succès dans ce même pays des années plus tard comme conséquence de l’émergence de nouvelles techniques et il en va de même pour l’extraction d’un minéral qui devient possible après des années grâce à l’apparition de nouveaux services. La technologie, la communication, le transport et les finances ne sont que quelques-uns des facteurs de production qui peuvent aider à changer le paysage économique d’un pays.

Ces transformations économiques affectent la proportion entre revenus et protection pour chaque ligne tarifaire. Si cette proportion prenait plusieurs années pour changer auparavant, aujourd’hui ce changement se produit à un rythme plus rapide étant donné la vitesse à laquelle les ressources peuvent être mobilisées, les progrès technologiques arriver et les chaînes logistiques évoluer.

En conséquence, les concessions tarifaires négociées lors des cycles du GATT entre 1947 et 1994 peuvent parfois ne plus servir leur fonction d’origine aujourd’hui. Le but premier des cycles de négociation du GATT était de réduire les tarifs, non de les rééquilibrer périodiquement. Toutefois, chaque pays devrait adopter sa propre stratégie industrielle dynamique et devrait à tout moment avoir pour objectif d’apporter un soutien sélectif à certaines industries, tout en réduisant ou en éliminant l’appui apporté à d’autres secteurs qui exploitent ce type d’initiative pour leur profitabilité plutôt que pour leur compétitivité face à la concurrence mondiale.

Types de droits de douane

Outre les fonctions des droits, il est essentiel de comprendre les types de tarifs. Ces deux aspects sont étroitement liés et toute préférence pour un type de droit aura une influence sur la fonction du tarif en cause. Dans le présent article, j’évoquerai brièvement les deux types de droits de douane les plus courants, à savoir les droits dits ad rem et ad valorem.

Ad rem ou spécifique

Le droit « ad rem » ou « spécifique » est un montant d’argent fixé par unité de marchandise. L’unité de mesure peut être le poids, le volume, la surface ou une autre unité quantifiable. Les tarifs ad rem prévoient le montant d’unités monétaires qui doivent être prélevées par unité mesurable (litre, gallon, kg, tonne, m3).

L’avantage de ces tarifs est qu’ils sont extrêmement faciles à appliquer. La valeur en douane de la marchandise en cause ne doit pas forcément être déterminée, puisque le droit ne se fonde pas sur la valeur du produit en soi mais sur d’autres critères. Il n’est nul besoin de recourir aux règles d’évaluation en douane et l’Accord de l’OMC sur l’évaluation ne s’applique pas non plus. Ces tarifs sont très attrayants pour les pays qui rencontrent des difficultés dans l’application des règles d’évaluation et dans la gestion des stratégies des multinationales en matière de prix de transfert.

Deux pays ont choisi de recourir exclusivement aux droits ad rem : le Liechtenstein et la Suisse. La plupart des pays utilisent les droits ad rem pour certains produits spécifiés dans leurs listes nationales, en particulier dans le secteur de l’agriculture.

Les principaux désavantages des droits ad rem ont trait au fait que le degré de protection qu’ils offrent aux producteurs nationaux varie de façon inversement proportionnelle aux changements intervenant dans les prix d’importation, et qu’ils subissent les effets de l’inflation. Les pays devraient donc évaluer, pour chaque ligne tarifaire couverte par un droit ad rem dans leur liste nationale, si la fonction de protection est remplie et, si tel n’est pas le cas, envisager de passer à un autre type de tarif.

Ad valorem

Un droit ad valorem représente un pourcentage de la valeur monétaire des marchandises imposables. L’expression ad valorem signifie « selon la valeur ». Ce type de droit représente globalement le type de droit le plus populaire dans le monde et est aussi celui qui est principalement utilisé pour fixer les concessions tarifaires.

Son plus grand avantage est sa transparence. Les pays ont négocié les taux ad valorem durant les cycles successifs du GATT et ces derniers sont inscrits dans les listes de concessions de l’OMC comme taux maximaux applicables. Un autre avantage notable de ces droits a trait au fait qu’ils ont une incidence différente sur les marchandises classées sous un même code du SH. Dans une même ligne tarifaire, des marchandises meilleur marché sont moins touchées que les produits plus chers.

Le gros désavantage de ce type de droit, par contre, est qu’il dépend de la détermination de la valeur en douane. Le prix des marchandises va non seulement varier en fonction des conditions de marché, mais aussi des dispositions de l’article 8 de l’Accord de l’OMC sur l’évaluation en douane puisque des ajustements obligatoires devront être ajoutés à ce titre afin d’établir la valeur en douane. Ces ajustements couvrent les redevances, les services et d’autres biens immatériels qui sont difficiles à évaluer dans des circonstances normales. Le droit ad valorem peut également varier en fonction des stratégies de prix de transfert, puisque ces dernières influent sur la valeur transactionnelle et sur les ajustements prévus à l’article 8.

Lorsque les droits de douane sont avant tout utilisés pour protéger des branches de production nationales, le tarif ad valorem est généralement l’instrument de choix puisqu’il permet de maintenir un niveau constant de protection, quels que soient les changements intervenant dans le prix d’une marchandise. Le niveau de protection que garantit le droit ad valorem s’aligne sur les hausses et les baisses de prix.

Conclusion

Le système commercial international a été construit dans le but de réduire substantiellement les droits de douane et d’éliminer les préférences. Bien que les concessions tarifaires aient abouti à des résultats positifs, quelques pays ont exprimé le besoin de revoir les taux de droits afin de protéger leur production nationale.

L’existence de chaînes logistiques interconnectées rend une telle politique plus compliquée. Deux études du Bureau national de recherche économique (NBER) montrent que les droits des États-Unis sont payés presque entièrement par les consommateurs américains mais aussi qu’ils constituent un frein pour les exportations états-uniennes.

Les droits représentaient un thème de discussion assez populaire avant le GATT et il est essentiel aujourd’hui de donner un nouveau souffle à cette discussion technique. À mon sens, il serait très utile de parler des types de droits qui devraient être utilisés en fonction du niveau de développement, des capacités administratives et des objectifs d’un pays.

La politique tarifaire doit être conçue avec beaucoup d’attention et doit répondre à plusieurs questions fondamentales, comme par exemple : le pays est-il aussi un producteur des marchandises en cause et la protection est-elle donc vraiment nécessaire ? Quels en seront les effets sur les importateurs et les intermédiaires ? Est-ce que d’autres méthodes de génération de revenus peuvent venir remplacer les droits ? Qu’en est-il des revenus associés à chaque ligne tarifaire ? L’inflation est-elle contrôlée ?

Les pays comptant une capacité institutionnelle faible devrait réfléchir à la question, en particulier les quelque 40 nations désignées par le FMI comme souffrant d’un conflit ou d’une crise sur la base de l’indice d’évaluation de la politique et des institutions nationales (CPIA) de la Banque mondiale. Ces pays risquent, en effet, de ne pas être capables de recouvrer des recettes publiques s’ils ne faisaient pas le bon choix.

Il convient de noter que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a récemment recommandé l’utilisation des droits ad rem pour les produits du tabac dans la mesure où ils imposent un plancher fiscal minimal. Pour simplifier les choses, moi-même je recommanderais d’examiner l’application de droits ad rem sur les marchandises transportées par les voyageurs à travers les frontières terrestres ou importées par la poste (Annexe J de la Convention de Kyoto révisée).

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Leonardo.Macedobr@gmail.com