L’Accord de l’OMC sur l’évaluation en douane : objectifs, prérequis et défis
20 octobre 2020
Par l’Organisation mondiale du commerceCette année marque le 25e anniversaire de l’entrée en vigueur de l’Accord de l’OMC sur l’évaluation en douane (AED). L’Accord a pour but de remédier aux retards dus à la vérification de la valeur lors du dédouanement et de s’assurer que la valeur en douane des marchandises entrant sur le marché a été adéquatement établie afin de refléter le prix réel des marchandises, tel qu’il a été convenu entre le vendeur et l’acheteur.
Les débuts
L’Accord n’est pas le premier instrument règlementaire à être adopté dans le domaine de l’évaluation. Une première tentative avait été menée au titre de l’article VII de l’Accord général sur les tarifs douaniers (GATT), entré en vigueur en 1948. Alors que les négociations s’orientaient clairement vers une diminution des tarifs, les négociateurs avaient voulu s’attaquer à la pratique douanière existante qui consistait à attribuer des valeurs arbitraires ou fictives aux marchandises, ce qui aurait eu pour effet d’annuler tous les avantages tarifaires visés par le GATT.
L’article VII du GATT introduit la notion que la valeur des marchandises à l’importation devait se baser, à des fins douanières, sur la valeur réelle des produits importés. Toutefois, il n’incluait pas une définition de la valeur en douane et ne fournissait pas de détails sur la manière de calculer la « vraie » valeur d’un produit. Ainsi, les administrations des douanes se retrouvaient avec un grand pouvoir discrétionnaire en matière d’évaluation.
Afin d’améliorer la règlementation, les Membres ont négocié durant le Tokyo Round (1973-1979) un second accord douanier séparé, intitulé « Code de l’évaluation du GATT ». Cet accord, qui était en réalité un code douanier sous les auspices du GATT, a introduit de nouvelles disciplines aux fins de l’évaluation. Il avait pour objectif d’établir un système prévisible qui refléterait la vraie valeur des marchandises et d’éliminer ainsi toute évaluation arbitraire ou fictive. Il a abouti à la première règlementation détaillée sur l’évaluation en douane. Toutefois, en tant que code au titre du GATT, il n’a été adopté que par un certain nombre de signataires du GATT.
Au final, ce code a été suspendu par l’Accord actuel sur l’évaluation en douane (AED), officiellement appelé Accord sur la mise en œuvre de l’Article VII de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, négocié durant le Cycle d’Uruguay (1986-1994) et entré en vigueur pour tous les Membres de l’OMC en 1995.
Objectif
L’objectif de l’AED est d’instaurer un système équitable, uniforme et neutre d’évaluation en douane des marchandises, qui exclut l’utilisation de valeurs en douane arbitraires ou fictives. En même temps, il vise à lutter contre la sous-évaluation.
L’AED prévoit que la base première ou, en d’autres termes, le mécanisme qui doit être utilisé par défaut aux fins de l’évaluation est la « valeur transactionnelle », qui se définit comme « le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à destination du pays d’importation » (article premier). En conséquence, la valeur devrait se fonder sur le prix de vente convenu entre l’acheteur et le vendeur, tel qu’il est repris sur la facture. L’Accord inclut également dans la valeur transactionnelle d’autres éléments qui ont une incidence sur l’évaluation des produits et qui ne sont pas inclus dans la facture (article 8).
Les déviations par rapport à cette méthode ne sont permises que lorsqu’il n’est pas possible d’utiliser la valeur transactionnelle (par exemple, lorsque le lien entre parties liées influence le prix, lorsqu’il n’y a pas de vente ou lorsque les documents justificatifs ne sont pas fiables). Dans ces cas-là, l’Accord prévoit une succession de cinq méthodes alternatives qu’il convient d’appliquer par ordre hiérarchique. Toute déviation de l’utilisation de la valeur transactionnelle étend potentiellement le pouvoir de décision des administrations douanières ; de même, l’application des méthodes alternatives, suivant leur ordre de succession, accroît encore le niveau de discrétion des douanes. La structure hiérarchique de l’Accord vise à limiter ces possibilités, reflétant ainsi l’objectif de l’Accord qui cherche à éliminer le recours à des valeurs arbitraires ou fictives.
- Valeur transactionnelle: la valeur est déterminée sur la base du prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à destination du pays d’importation, ainsi que des ajustements liés à d’autres éléments de coût qui ne sont pas repris sur le prix figurant sur la facture. (Articles 1 et 8)
- Valeur transactionnelle de marchandises similaires: la valeur est déterminée en se référant à la transaction pour des marchandises similaires produites par le même fabricant, aux mêmes conditions que pour les marchandises identiques. (Article 3)
- Méthode déductive: la valeur est déterminée suivant le prix de vente des marchandises dans le pays d’importation, sous réserve de déductions se rapportant à certains frais (comme les montants pour bénéfices ou frais, par exemple). (Article 5)
- Valeur calculée: la valeur est déterminée sur la base du coût des matières et des opérations de fabrication dans le pays d’exportation et d’autres frais, comme l’emballage, les travaux d’ingénierie ou d’étude, les montants pour bénéfices, les frais généraux, les frais de transport et les coûts d’assurance. (Article 6)
- Méthode de dernier recours: les autorités douanières peuvent déterminer leur propre procédure en se fondant sur les méthodes précédentes, pour autant qu’elle permette de calculer la valeur par des moyens raisonnables compatibles avec les principes de l’article VII du GATT et avec les dispositions de l’AED. (Article 7)
Changements d’infrastructure
La mise en œuvre de l’Accord exige que la douane s’éloigne d’une approche axée sur des interventions au moment du dédouanement et requiert une modernisation tant des procédures que des systèmes douaniers. Les mesures de modernisation nécessaires pour la mise en œuvre de l’Accord sur l’évaluation en douane sont celles couvertes par la Convention de Kyoto révisée de l’OMD, à savoir : la simplification des procédures, l’informatisation, le renforcement des contrôles internes et des systèmes de gestion, la possibilité de rendre des décisions anticipées en matière d’évaluation, la mise en place d’un dispositif de gestion des risques et le renforcement des capacités aux fins des contrôles a posteriori, sans oublier la mise en œuvre de programmes d’opérateur économique agréé (OEA).
De plus, l’établissement d’accords de coopération douanière et d’assistance mutuelle administrative, au niveau multilatéral, régional ou bilatéral, est nécessaire, en particulier si la douane a des doutes sur la véracité des factures mais ne dispose d’aucun moyen pour obtenir les données dont elle a besoin. L’informatisation rendrait cette coopération d’autant plus efficace qu’elle permettrait techniquement l’échange de données en temps réel.
Les administrations devraient également disposer de l’infrastructure adéquate. L’établissement d’unités douanières qui se consacrent spécifiquement aux questions d’évaluation est propice au développement d’une telle infrastructure, tout comme la création de comités nationaux chargés des questions techniques et de comités chargés de questions législatives et règlementaires. De tels comités jouent un rôle prépondérant en renforçant les capacités et l’expertise en matière d’évaluation et contribuent à une interprétation et à une application uniformes des lois et des règlements concernant l’évaluation en douane.
Outre le besoin de réformer leur administration douanière, de nombreux pays en développement et moins avancés doivent aussi faire face au défi que pose la présence d’un grand nombre d’opérateurs informels qu’ils doivent encourager à respecter l’AED. De nombreux négociants informels ne disposent pas de l’infrastructure, des connaissances et des compétences adéquates à cette fin, ce qui se traduit souvent par l’absence de documents d’importation et d’exportation fiables. La douane a besoin de programmes et d’infrastructures ayant pour vocation spécifique d’inciter ces opérateurs à respecter la loi.
Autres éléments importants pour une mise en œuvre effective de l’Accord
La mise en œuvre effective de l’AED repose sur une série de prérequis politiques, législatifs et techniques. Globalement, il est fondamental de compter sur une volonté politique pour mener les réformes nécessaires et atteindre le niveau requis de capacité. Le gouvernement et l’administration des douanes doivent également bien appréhender la portée des changements qui doivent être entrepris aux niveaux administratif, législatif et structurel.
L’AED est, en effet, un accord hautement technique et complexe qui requiert une connaissance approfondie des règles techniques de l’évaluation, allant de la compréhension élémentaire de la valeur transactionnelle à des sujets épineux comme les prix de transfert, les redevances et droits de licence et les modèles d’entreprise du commerce électronique. Il est dès lors essentiel de mettre en place un mécanisme durable pour garantir un renforcement des capacités en continu, tant pour les douanes que pour les entreprises, notamment à travers la mise au point de cours universitaires.
Les règles de l’évaluation doivent non seulement être comprises mais aussi appliquées de manière cohérente et normalisée. Les opérateurs commerciaux seront ainsi assurés d’être traités adéquatement et en toute équité et ils n’en seront que plus enclins à respecter les règles. À propos de cette conformité volontaire, il conviendrait pour la favoriser d’adopter des mesures visant à faire en sorte que le secteur privé soit informé et engagé. Un dialogue régulier avec les représentants des associations professionnelles et commerciales est particulièrement important à cet effet, puisqu’il leur permettra d’être plus à même de contribuer à améliorer le niveau de conformité de leurs membres. Un tel mécanisme pourrait aussi être utile pour la douane, la communication régulière et ouverte améliorant son propre entendement des défis rencontrés par le secteur privé sur certains aspects de l’évaluation.
En matière de transparence, il est important de noter que les membres de l’OMC ont l’obligation de notifier leur législation douanière au Comité de l’évaluation en douane de l’OMC. Ces informations sont considérées comme des éléments importants pour l’application de l’AED. Elles permettent au Comité de passer en revue la législation en vigueur afin de s’assurer que les lois et règlementations en place satisfont bien aux dispositions de l’Accord. Le Comité se penche plus particulièrement sur la façon dont les lois sont appliquées en vue d’assurer la prévisibilité et la cohérence des activités commerciales à travers les frontières nationales. Outre les examens de la législation, le Comité offre aussi aux membres la possibilité de poser leurs questions et de débattre du fonctionnement de l’Accord pour l’ensemble des Membres de l’OMC.
Obstacles à l’application de l’accord
Plusieurs facteurs peuvent empêcher les douanes d’appliquer intégralement l’AED. Il peut y avoir au sein des administrations des oppositions aux changements qu’exige la mise en œuvre effective de l’Accord. En outre, les changements exigés peuvent impliquer d’importants coûts pour un pays en développement et certains États souhaitent peut-être consacrer leurs ressources à des priorités plus urgentes. D’autres encore, qui dépendent grandement des recettes engendrées par les droits de douane, peuvent s’inquiéter que la bonne application du concept d’évaluation, en particulier de la notion de valeur transactionnelle, n’ait des effets indésirables sur le recouvrement des droits.
Un autre obstacle tient au fait que de nombreuses administrations douanières, petites et souffrant d’un manque de ressources, ne peuvent se permettre de demander à une partie de leur personnel de se consacrer spécifiquement aux questions d’évaluation. Ainsi, souvent, les administrations des douanes ne possèdent pas les connaissances nécessaires sur le contenu de l’Accord et ont des difficultés à le comprendre. Le manque de ressources peut aussi être aggravé par la politique de rotation du personnel douanier et par le manque de formation régulière concernant l’AED. Il en résulte une disparité dans les niveaux de connaissances et de capacités techniques entre et au sein des autorités douanières.
Certains pays en développement ne disposent pas non plus du cadre juridique nécessaire ni de la capacité administrative pour appliquer l’Accord. Des technologies de l’information inadaptées et des procédures informatisées mal conçues, notamment pour la gestion des risques en matière d’évaluation, sont d’autres facteurs susceptibles de peser lourdement sur la bonne application de l’Accord. En conséquence, le secteur privé peut être confronté à une surutilisation de la méthode du dernier recours, des prix de référence et des bases de données en matière d’évaluation en douane.
En outre, les niveaux de coopération entre les autorités douanières et le secteur privé sont pour le moins disparates. Cette situation engendre énormément de désinformations concernant l’efficacité de l’Accord, parmi les douanes et les entreprises.
Enfin, l’existence d’un secteur informel significatif crée de sérieux problèmes de vérification et impose une lourde charge administrative pour les douanes. Il leur devient souvent impossible d’appliquer la méthode de la valeur transactionnelle, ou d’ailleurs toute autre méthode alternative d’évaluation. La situation est encore aggravée par le fait que, dans la plupart des pays comptant un large secteur informel, il n’existe pas de mécanisme qui permette un échange de renseignements entre les pays d’importation et les pays d’exportation.
Enseignements tirés
25 ans après l’entrée en vigueur de l’AED, il apparaît clairement que le commerce est devenu plus prévisible et équitable. L’Accord permet de créer un environnement commercial sûr pour le développement économique, de préserver les avantages liés aux faibles tarifs et de réduire les coûts du commerce. L’AED offre des avantages particuliers aux petites et moyennes entreprises qui sont tout spécialement sensibles aux retards en matière de dédouanement et aux coûts élevés du commerce.
Il est tout aussi vrai que certains pays continuent de rencontrer des problèmes tels que ceux mentionnés ci-dessus. Toutefois, l’accord le plus récent adopté par l’OMD, à savoir l’Accord sur la facilitation des échanges, offre une belle occasion pour les Membres de l’OMC de renforcer la mise en œuvre de l’AED. Les deux accords sont en effet étroitement liés. L’AFE inclut des dispositions concernant tous les éléments relatifs à la modernisation douanière requis pour une application efficace de l’AED : publication des lois et règlementations douanières, mise en place de mécanismes de consultation avec le secteur privé, mise en place de décisions anticipées (encouragées aux fins de l’évaluation), gestion des risques (notamment pour la valeur des marchandises), procédures de recours et de réexamen, mainlevée des marchandises sur garantie, contrôle a posteriori et coopération douanière. Afin de pouvoir mettre en œuvre l’AFE, un pays doit être capable d’appliquer l’AED.
L’AFE prévoit un soutien à sa mise en œuvre sous forme d’une assistance technique et d’un renforcement des capacités pour les pays en développement et les pays moins avancés. Obtenir un tel appui est également un moyen pratique d’accéder à l’aide nécessaire en matière d’évaluation. Compte tenu des recoupements entre les deux accords, les Membres de l’OMC qui déterminent leurs besoins en matière de renforcement des capacités dans le cadre de la mise en œuvre de l’AFE peuvent donc inclure les besoins liés à l’application de l’AED.
Vingt-cinq ans après son entrée en vigueur, l’Accord sur l’évaluation en douane vient de recevoir une nouvelle impulsion. L’occasion est donc toute trouvée pour renforcer l’AED pour les 25 prochaines années et bien au-delà.
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