Focus

La sécurité des aliments destinés à l’alimentation humaine et animale : déterminer les chaînons manquants pour libérer le plein potentiel de la coopération

25 février 2021
Par Esther Enning, inspectrice principale, Autorité de la sécurité des aliments et des produits de consommation des Pays-Bas (NVWA)

Aux Pays-Bas, l’administration douanière supervise le flux des marchandises qui entrent sur le territoire de l’Union européenne (UE) ou en sortent, à travers les frontières extérieures du pays. Le terme « supervision » est à comprendre au sens large puisqu’il inclut toutes les activités visant à établir la conformité des biens par rapport au vaste ensemble des lois et des règlements qui régissent le commerce international des marchandises avec l’UE.

Pour garantir que les produits importés remplissent bien les exigences de l’UE en matière de sécurité – une activité dite de « surveillance du marché » -, la Douane néerlandaise coopère avec plusieurs agences spécialisées. Pour ces autorités chargées de la surveillance du marché, la supervision des produits importés n’est qu’une des nombreuses tâches qu’elles ont à entreprendre. Elles doivent s’assurer que tous les produits disponibles sur le marché, qu’ils soient importés ou non, répondent à un ensemble complexe de règles et d’obligations légales relatives à leur fabrication, leur traitement, leur entreposage, leur transport et leur vente.

Parmi ces agences de surveillance du marché, l’Autorité de la sécurité des aliments et des produits de consommation des Pays-Bas (NVWA) s’occupe de contrôler la sécurité des produits alimentaires et de consommation mais aussi d’appliquer la législation relative au bien-être animal et à la nature. Dans le domaine de la sécurité alimentaire, la supervision de la NVWA couvre toute la chaîne alimentaire humaine et animale, de la ferme à l’assiette, et inclut les importations de matières premières agricoles telles que le soja. Le contrôle des produits importés représente un défi particulier pour la NVWA compte tenu des volumes de produits non européens entrant quotidiennement via les Pays-Bas, principalement par le port de Rotterdam et l’aéroport d’Amsterdam (Schiphol).

La coopération entre la NVWA et la Douane néerlandaise est régie par des accords signés au niveau ministériel. Bien que l’application des règlements aux frontières ne soit pas l’activité principale de la NVWA, le présent article a pour objet d’ouvrir une discussion sur la manière d’améliorer cette coopération, tout spécialement dans le domaine de l’analyse conjointe des risques, en prenant l’exemple de la sécurité alimentaire humaine et animale.

Contrôles obligatoires et contrôles fondés sur le risque

Les règlementations européennes ayant trait à la sécurité des denrées destinées à l’alimentation humaine et animale établissent une distinction entre deux types de contrôles aux frontières extérieures de l’UE :

  • les contrôles obligatoires sur les marchandises provenant de pays tiers compte tenu d’un risque connu ou émergent ou parce que certains éléments de preuve laissent supposer un grave manquement aux règles en vigueur. Aux fins du présent article, nous les désignerons comme des contrôles de type 1. Les produits soumis à des contrôles de type 1 sont énumérés dans divers règlements. Les listes des produits y figurant et leur origine désignée sont mises à jour régulièrement.[1] Les résidus de pesticides dans les baies de goji, la présence de salmonelle dans le poivre noir, les aflatoxines dans les cacahouètes, les colorants Soudan dans l’huile de palme ou encore les sulfites dans les abricots secs sont quelques exemples de risques qui ont été identifiés à ce titre.
  • les contrôles fondés sur une analyse des risques, afin d’établir que les risques connus sont bien traités et de mettre en lumière de nouveaux risques éventuels. Aux fins du présent article, nous appellerons ce type de contrôles, qui sont menés sur la base des plans de contrôle nationaux[2], des contrôles de type 2.

Mécanismes de coopération

Aux Pays-Bas, tous les envois doivent être présentés à la Douane, afin qu’elle puisse mener une évaluation des risques. La NVWA travaille en étroite coopération avec la Douane afin de mener les contrôles de type 1 et de type 2 efficacement, dans la lignée de la règlementation européenne, qui exige « un système commun et intégré de contrôles officiels ».[3]

Prenons l’exemple des « contrôles (non) vétérinaires intégrés » de type 1. Les règlements de l’UE stipulent que les envois de produits soumis à des contrôles de type 1 doivent être notifiés à l’autorité compétente avant leur arrivée à la frontière extérieure de l’UE. L’autorité compétente doit vérifier les documents pour tous les envois et un pourcentage prédéfini de ces envois sera soumis à une vérification matérielle. Si les douaniers néerlandais qui examinent les documents soupçonnent une infraction dans le cas d’un envoi de produits soumis à un contrôle de type 1, ils transmettent le dossier aux agents de la NVWA qui sont stationnés au même endroit et qui se chargent alors de l’envoi en cause.

La mise en œuvre des contrôles de type 2 exige aussi une étroite coopération : la NVWA n’a pas accès aux informations sur les envois entrant dans l’UE, par contre elle dispose bien de renseignements concernant les risques posés par certains produits, pays de production, exportateurs ou importateurs. Elle connaît en outre les tendances saisonnières. La douane, quant à elle, détient des informations sur la chaîne logistique et peut détecter les anomalies dans les flux commerciaux. L’établissement d’une stratégie de gestion des risques est donc le résultat d’un effort commun. En combinant leurs renseignements, les deux services peuvent surveiller et gérer les risques. Sur la base de l’analyse conjointe des risques, la Douane peut déterminer quels sont les envois sur lesquels elle doit attirer l’attention de la NVWA lorsqu’ils entrent dans l’UE. La NVWA est ainsi dûment informée et peut choisir le meilleur moment pour procéder à un contrôle afin de perturber le moins possible les flux commerciaux. Il peut s’agir d’intervenir à l’entrée de l’envoi dans l’UE, durant son entreposage temporaire en attendant le régime douanier définitif, durant une procédure douanière donnée, ou après sa mise en libre pratique (ou mainlevée à des fins de libre circulation) sur le marché intérieur européen.

Un premier pas vers une supervision fluide et sans à-coups 

Jusqu’au début des années 2000, la décision de vérifier des envois soumis à des contrôles de type 2 se prenait après le dépôt de la déclaration en douane aux fins de la mise en libre pratique. Lorsqu’elle avait des raisons de croire que l’envoi présentait un risque, la Douane suspendait la mainlevée en attendant les instructions de la NVWA. Cette façon de procéder causait des retards imprévisibles et était source de frustration pour les importateurs.

La NVWA a commencé à chercher une meilleure façon de procéder et a décidé de changer le moment où elle prend la décision de mener une inspection, afin que cette dernière intervienne avant que les marchandises n’arrivent dans l’UE. Les opérateurs commerciaux seraient ainsi notifiés avant l’arrivée des marchandises, ce qui leur permettrait d’anticiper les retards prévisibles.

Améliorer l’évaluation conjointe des risques

Bien que les contrôles soient organisés afin d’être aussi fluides que possible pour les entreprises, le processus d’évaluation conjointe des risques pourrait être amélioré. La Douane et la NVWA se donnent pour ambition partagée de traiter les risques de manière effective et efficace mais elles n’utilisent pas la même nomenclature des marchandises ni le même système d’identification des sociétés.

Différentes nomenclatures

Pour le classement des marchandises, les deux autorités parlent un langage différent. La Douane utilise la Nomenclature combinée (NC) qui est fondée sur le Système harmonisé de l’OMD et couvre toutes les marchandises. D’autres agences utilisent des systèmes de codification différents, ciblant un secteur spécifique ou des produits présentant certains attributs. La plupart du temps, ces systèmes de classification offrent aussi des niveaux de détail distincts.

Prenons l’exemple des additifs pour l’alimentation animale. L’UE reprend dans une liste disponible au public tous les additifs pour l’alimentation animale qui peuvent être importés. Les produits vont de matières premières de base (comme l’oxyde ferrique) à des préparations très complexes (comme une préparation de 6-phytase produite par Komagataella pastoris). Si l’on compare les 1 557 entrées reprises dans le registre de juillet 2019, près de la moitié des additifs alimentaires animaux (48 %) correspondent à un code unique de la Nomenclature combinée (NC). Le reste des additifs figurant dans les codes NC sont des mélanges de deux ou trois produits, c’est-à-dire qu’un additif peut être composé, par exemple, d’une huile, d’une essence et d’un extrait. Dans le cas le plus extrême, un seul code (le n° 2102.1090.10) couvre 122 additifs (tous des enzymes différents).

Le même problème se pose concernant les produits de la faune et de la flore sauvages. Un nombre considérable de ces produits sont classés dans des catégories plutôt larges de la Nomenclature combinée, au lieu d’être rangés dans des unités taxonomiques plus petites et bien définies. Ce manque de détail au niveau des codes régissant le commerce limite la capacité des autorités à surveiller les échanges d’espèces sauvages.[4]

Par ailleurs, le champ d’application des marchandises n’est pas toujours spécifié dans les descriptions de produits de la nomenclature douanière. Le champ d’application peut parfois être un critère de classement dans la NC, mais pas toujours. Si de telles informations ne sont souvent pas très importantes pour les douanes, elles sont par contre essentielles pour les autorités nationales. Par exemple, aux Pays-Bas, l’usage spécifique auquel les masques faciaux sont destinés (médical, professionnel ou domestique) détermine laquelle des trois autorités nationales sera chargée de contrôler la conformité du produit.

Parfois, il suffira de passer en revue les documents fournis avec la déclaration en douane pour clarifier la donne et déterminer si une vérification s’impose, mais ce n’est pas toujours le cas. Il s’ensuit des incertitudes et des interprétations divergentes quant à la nature des marchandises en cours d’importation, ce qui peut parfois aboutir à des discussions sur la question de savoir quelle sera l’autorité compétente.

Codes des entreprises

Les douanes et les autorités de surveillance du marché utilisent également des codes différents pour identifier les sociétés. Dans le cadre de leurs échanges avec les administrations douanières, les entreprises et les individus souhaitant faire du commerce doivent utiliser le numéro d’enregistrement et d’identification des opérateurs économiques (ou numéro EORI, de son acronyme anglais) pour s’identifier aux fins de tous les régimes douaniers. Dans la mesure où elles se concentrent principalement sur le marché intérieur, les autorités de surveillance du marché s’en remettent à leur système national d’identification, qui ne correspond pas forcément au registre des numéros EORI. Afin de pallier ces différences aux fins de l’analyse conjointe des risques, d’autres éléments de données (comme les adresses) doivent être mis en correspondance. Cette méthode ne fonctionne toutefois pas toujours : parfois, l’élément de donnée choisi n’est pas disponible, par exemple, parce qu’il n’est pas obligatoire de l’indiquer ; parfois aussi, des coquilles lors de l’encodage empêchent l’appariement des données.

Une coopération renforcée avec la douane – une vraie bonne idée

Malgré ces obstacles pratiques, il va sans dire que, pour les autorités de surveillance du marché, une coopération étroite avec la douane est toujours salutaire, à condition que les conditions juridiques préalables aux fins de l’échange des données soient remplies.

L’analyse conjointe des risques avec la douane peut leur permettre de se faire une idée plus complète des domaines et des risques pertinents, ce dont elles n’auraient pas été capables sur la seule base de l’analyse de leurs propres données. Par exemple, les données douanières peuvent révéler aux autorités de surveillance du marché que des importateurs dont elles n’avaient pas connaissance préalablement font commerce de produits à risque relevant de leur compétence. De même, l’analyse conjointe des risques peut permettre d’éviter les contrôles inutiles en montrant que les activités d’un importateur ne portent pas sur des produits à risque. Il en découle une utilisation plus efficace des ressources et moins de tracasseries pour les opérateurs commerciaux.

Les vérifications peuvent donc être effectuées sur une base plus éclairée et personnalisée. L’inspecteur cerne mieux ce qu’il recherche mais aussi ce qu’il ne doit pas chercher ! La conformité peut ainsi être établie de la manière la moins intrusive possible. Les opérateurs commerciaux, qui sont aussi des contribuables, peuvent constater que l’argent public est utilisé à bon escient et que les contrôles sont bien préparés et motivés.

La gestion conjointe des risques permet également aux autorités de détecter les cas de fraude et d’identifier les nouveaux contrevenants. Les travaux de recherche dans le domaine de la sécurité alimentaire ont montré que la mise en place d’un grand nombre de contrôles aléatoires n’est pas un moyen efficace pour détecter la fraude.[5] En mutualisant leurs données et leur expertise, les agences arrivent à détecter les incohérences et anomalies pouvant cacher des actions frauduleuses[6] qui seraient passées inaperçues autrement  (Scherpenisse, Schram, & van Twist, 2017).

Conclusion

Le devoir de coopération est formellement inscrit dans les règlements de l’UE sur les contrôles aux frontières qui sont menés afin de garantir que les produits importés répondent bien aux exigences légales. Pendant de nombreuses années, la Douane a été chargée de jouer un rôle de chef de file pour la coordination des actions des autorités de réglementation aux frontières, tâche dont elle s’est toujours acquittée. L’un des objectifs principaux du plan stratégique de politique douanière des Pays-Bas est d’améliorer la coopération entre les autorités responsables des questions de sûreté et de sécurité, de la santé humaine et animale, et de l’économie et de l’environnement.[7]

Dans la pratique, les politiques sous-tendant la gestion coordonnée des frontières ont donné lieu à des initiatives telles que le guichet unique néerlandais pour le commerce et le transport. Au-delà des mesures visant à instituer un cadre légal et à utiliser des outils technologiques, la gestion conjointe des risques pourrait toutefois être encore améliorée. Il serait particulièrement opportun de développer un système uniforme pour l’identification des marchandises et des entreprises. Une telle mesure exigerait des efforts de la part des deux parties, ainsi qu’une implication de l’OMD et des institutions européennes pertinentes. L’exercice serait certes ambitieux, mais les avantages à en tirer pour accroître les capacités de surveillance et la facilitation des échanges seraient énormes. À présent que les travaux liés à la mise en place de nouvelles règles et procédures avec le Royaume-Uni sont terminés, le moment est peut-être venu d’envisager un tel chantier.

En savoir +
e.f.enning@NVWA.nl

[1] Par exemple, le règlement (UE) n° 2019/1793 ou encore le règlement (UE) n° 284/2011.

[2] Sur la base du règlement (UE) n° 2017/625, article 44(1), première phrase https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32017R0625&from=FR#d1e5352-1-1.

[3]ibid., considérant (56).

[4] Chan, H., Fischer, G., Yang, F., & Zhang, H. Improve Customs Systems to monitor Global Wildlife Trade – Widely used trade codes lack taxonomic granularity. Science, 2015, Vol. 348 Issue 6232, 291-292: https://www.researchgate.net/publication/275037458_Improve_customs_systems_to_monitor_global_wildlife_trade.

[5] Gussow, K. (Finding food fraud: Explaining the detection of food fraud in the Netherlands. Amsterdam: Vrije Universiteit Amsterdam, 2020.

[6] Scherpenisse, J., Schram, J., et van Twist, M. Tijd, toezicht en techniek: Temporele uitdagingen van digitalisering voor de NVWA. Den Haag, NSOB, 2017.

[7] Heijmann, Ensing, van’t Veld, and Neggers. Gestion coordonnée des frontières aux Pays-Bas. OMD Actu n° 76, 2015.

Sur l’auteur

Esther Enning est inspectrice principale à l’Autorité de la sécurité des aliments et des produits de consommation des Pays-Bas (NVWA). Pendant près de vingt ans, elle a été cheffe de projet pour de nombreuses initiatives relatives à la sécurité des produits et à la sécurité non vétérinaire des denrées destinées à l’alimentation humaine et animale. En tant que telle, elle a travaillé en étroite coopération avec l’Administration des douanes des Pays-Bas. Titulaire d’un Master en Douane et Conformité de la chaîne logistique, elle est aussi diplômée en logistique et économie, ainsi qu’en sciences environnementales. En 2020, elle a obtenu un Master en Douane et Conformité de la chaîne logistique de la Rotterdam School of Management. Dans sa thèse de fin d’études intitulée Food and Feed Safety Supervision in the Netherlands for Internationally Traded Goods: Do Customs Data Matter? (Surveillance de la sécurité alimentaire humaine et animale aux Pays-Bas et marchandises du commerce international : quelle place pour les données douanières ?), elle se penche sur l’utilisation des données externes aux fins de la surveillance. Une version de ce document peut être fournie sur demande.