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Dossier

La numérisation des carnets ATA : un aperçu du projet pilote de l’ICC

24 février 2021
Par Cyrille Bernard, architecte des systèmes d'information and Yuan Chai, Directeur Carnets ATA, Chambre de commerce internationale - ICC

Le carnet ATA[1] est un document douanier international qui permet l’admission temporaire de marchandises en exonération de droits et d’impôts, pour une période allant jusqu’à un an. Il donne la possibilité aux pays, aux entreprises et aux services présents aux frontières d’accélérer le processus douanier en recourant à des formes de déclarations unifiées et prêtes à l’emploi qui éliminent le besoin de déposer une garantie, une soumission ou encore une caution en espèces dans le pays d’importation temporaire. Fin 2020, 78 pays et territoires douaniers appliquaient la procédure des carnets ATA. Dans chacun d’eux, l’autorité douanière désigne une association garante nationale qui garantit le paiement des droits et taxes exigibles à l’importation le cas échéant, en coopération avec les associations garantes d’autres pays partout dans le monde. Sous la tutelle des associations garantes, il peut y avoir de multiples associations émettrices dans chaque pays, chargées de traiter les demandes de carnet. Des frais de traitement s’appliquent ainsi qu’un cautionnement, qui sera rendu si le carnet est utilisé correctement. La Chambre de Commerce Internationale (ICC), qui est le représentant institutionnel de plus de 45 millions d’entreprises dans le monde, se charge d’administrer la chaîne de garantie mondiale à laquelle sont affiliées toutes les associations garantes nationales.

Passer au numérique

Le carnet ATA reste aujourd’hui un document papier, bien que la numérisation, tant du document en soi (c’est-à-dire son passage vers un fichier électronique) que de la procédure d’admission temporaire basée sur le carnet, soit en cours de discussion déjà depuis quelques années. Force est de reconnaître que, vu la complexité de l’admission temporaire et des échanges de données qui ont lieu entre les diverses parties impliquées (les titulaires de carnets ATA et leurs représentants, les associations émettrices, les associations garantes nationales et les administrations des douanes), la tâche s’est révélée difficile. La numérisation du processus doit intervenir au niveau international, de manière organisée et coordonnée.

Face à cette situation, l’OMD a pris l’initiative il y a quelques années de rassembler les principales parties impliquées pour aborder la question de la création d’une solution de carnet ATA électronique (e-ATA). L’ICC a présenté son concept du carnet e-ATA à l’OMD en 2016 et, avec le soutien de cette dernière, elle a mené un projet pilote dans quatre pays : la Belgique, la Chine, la Russie et la Suisse. Une fois la phase de test achevée, l’écosystème numérique novateur des carnets ATA que l’ICC a mis au point devrait rapidement prendre son essor, de plus en plus de pays se rendant compte des avantages qu’ils auraient à tirer s’ils passaient d’un régime papier à une procédure numérique.

Comment fonctionne le carnet e-ATA ?

Passons en revue les détails techniques de l’écosystème numérique du carnet ATA. Le graphique n° 1 offre une vue d’ensemble de sa structure et de son architecture : le système en soi est constitué de cinq types de composants (éléments 1 à 5), alors qu’un sixième (6) représente l’outil (ou les outils) mis au point par chaque association émettrice/garante.

Le noyau du système de carnets ATA (1) est le système informatique central qui relie les autres parties et qui garantit que le mécanisme d’échange demeure sécurisé et robuste. Ce composant inclut divers outils de surveillance, de compte-rendu, d’alerte et d’analyse mis au point afin de permettre à l’ICC de gérer l’environnement numérique e-ATA.

Les serveurs mandataires (2) renforcent la vitesse de connexion et permettent à chaque utilisateur de se connecter facilement au noyau. L’ICC prévoit de déployer six serveurs mandataires dans le monde. Chaque serveur mandataire enregistre une copie de tous les carnets e-ATA émis et peut faire office de serveur de secours pour les autres serveurs mandataires en cas de panne technique.

Le composant NICS (3) fournit une interface de programmes d’application (API)[2] qui permet à chaque pays d’intégrer son propre système d’émission et de gestion des litiges national (représenté par le n°6 dans le diagramme) au noyau du système de carnet ATA. Six bases API ont été créées pour couvrir le monde entier. Les associations garantes nationales /émettrices peuvent choisir d’incorporer leur système à travers l’une des six bases API ou de l’héberger séparément.

L’appli Carnet ATA (4) est l’application mobile mise à la disposition des utilisateurs de carnets (titulaires/représentants). Elle sert de portefeuille sécurisé pour entreposer les carnets e-ATA achetés auprès des associations émettrices/garantes nationales et permet aussi de préparer les déclarations de passage à la frontière. Chaque utilisateur possède un profil et peut dès lors accéder au système via n’importe quel appareil connecté. Lorsqu’un carnet e-ATA est émis, l’utilisateur reçoit des instructions sur la façon de le télécharger sur l’appli et un code QR est créé pour chaque déclaration. Au moment de passer la frontière, il devra simplement présenter le code QR à la douane.

Le portail douanier (5) s’adresse spécifiquement aux autorités douanières. Ce portail offre une API et une interface usager standard permettant aux bureaux de douane et aux douaniers de créer et d’administrer des comptes e-ATA, de gérer les activités lors du passage aux frontières et de suivre le cycle de vie des carnets e-ATA. Les autorités douanières peuvent choisir d’utiliser l’interface usager standard mais elles ont également la possibilité de traiter les carnets e-ATA en utilisant leur propre système numérique. À cette fin, elles doivent intégrer leur système informatique au système de l’ICC, suivant l’exemple des associations garantes nationales et émettrices. Dans les deux cas, les douanes peuvent aussi demander à l’ICC de créer une instance du portail douanier, c’est-à-dire un environnement informatique virtuel spécifique à leur organisation et à leur charge de travail.

Enfin, le système national d’émission et de gestion des litiges (6) représente l’outil (ou les outils) numérique(s) mis au point par les associations garantes nationales ou émettrices, ayant vocation à être intégré(s) dans le système de l’ICC. Ce composant n’est pas normalisé dans la mesure où chaque pays dispose de ses propres modalités spécifiques pour gérer l’émission et les litiges. Aux fins de l’intégration, les données ou les informations reçues ou envoyées par le système de carnet ATA de l’ICC sont, quant à elles, normalisées.

Protéger l’information, un aspect capital

Pour se protéger des diverses menaces et vulnérabilités associées aux procédés numériques, les organisations doivent adopter des cadres et des méthodes sûrs et sécurisés et suivre les normes et les meilleures pratiques en la matière. L’ICC a dû veiller à prendre une grande variété de mesures pour relever les nombreux défis associés à la cybersécurité, afin de garantir que l’écosystème numérique du carnet ATA puisse fonctionner tout en garantissant la confidentialité, l’intégrité et la traçabilité des données.

L’ICC a choisi d’utiliser Microsoft Azure, une plateforme en nuage qui offre d’énormes capacités tant au niveau des fonctionnalités proposées que de la sécurité. Les centres de données de Microsoft Azure sont de niveau supérieur (de niveau IV), ce qui signifie qu’ils suivent des normes strictes de sécurité et de protection. Pour garantir la confidentialité et l’intégrité des données, l’ICC a mis en place plusieurs mécanismes de chiffrement. Les données sont chiffrées au repos et en transit suivant la meilleure norme de chiffrement symétrique et asymétrique. Les procédures d’identification, d’authentification et d’autorisation sont gérées via des certificats numériques qui sont des mots de passe électroniques permettant à une personne ou à une organisation d’échanger des données de manière sécurisée via Internet. L’accès aux diverses interfaces web et applications mobiles est géré à travers une authentification multifacteur qui est une méthode d’authentification qui exige de l’utilisateur qu’il fournisse au moins deux facteurs de vérification avant d’avoir accès à une ressource.

Pour gérer un environnement commercial si complexe, il est essentiel de disposer des bons outils de gestion, d’orchestration et d’automatisation. C’est pourquoi l’ICC utilise également DevOps, une méthode permettant de structurer le déploiement des correctifs, des améliorations, des nouvelles fonctions, etc.

L’ICC a préparé un dossier de matériels de formation pour les titulaires de carnet et pour les autorités douanières nationales. Un système de tickets a également été créé en 2019 pour offrir un appui au déploiement du projet pilote et à ses participants.

Résultats du pilote et voie à suivre

La toute première opération d’admission temporaire utilisant le carnet e-ATA a été menée avec succès en Suisse, le 20 octobre 2019. D’autres opérations ont rapidement suivi en Belgique, en Chine et en Russie. Dans ces quatre pays pilotes, seuls certains bureaux de douane préalablement choisis ont pu participer à la phase d’essai.

Les essais ont montré que le concept du carnet e-ATA marche bel et bien et que les outils numériques mis au point par l’ICC fonctionnent comme prévu. Pour préparer le terrain en vue de l’adoption des carnets e-ATA par les services douaniers, une notification-type normalisée a été approuvée par le Comité de gestion ATA/Istanbul de l’OMD, le 16 novembre 2020. Ce document-type établit des lignes directrices claires à l’adresse des gouvernements et des douanes nationales, afin d’encourager l’acceptation des carnets e-ATA.

Le principal défi de n’importe quel projet pilote consiste à mener suffisamment d’opérations pour que l’expérience soit probante, l’objectif étant de passer à la phase de mise en œuvre intégrale en toute confiance. Étant donné que les déplacements internationaux ont été sévèrement touchés par la pandémie de COVID-19, le volume des activités commerciales recourant aux carnets ATA a chuté entre 60 % et 70 % et il est devenu difficile de trouver des personnes et des entreprises prêtes à tester la solution e-ATA.

Il pourrait donc s’avérer nécessaire de poursuivre le projet pilote avec, en plus de « vrais » carnets (pour lesquels il existe bien un titulaire, des marchandises et une transaction), des carnets « démo » (couvrant un titulaire, des marchandises et une transaction fictifs). De cette manière, les pays pilotes pourraient continuer à tester le système et à accumuler les expériences et les retours des utilisateurs, tout en se préparant pleinement à la phase de mise en œuvre. Afin de stimuler le volume de transactions réelles, il serait aussi utile que d’autres bureaux de douane participent au projet. Ces suggestions et ces plans seront abordés lors de la prochaine réunion du groupe de travail de l’OMD sur le carnet e-ATA, qui se tiendra durant le premier semestre de 2021.

En savoir +
https://iccwbo.org/resources-for-business/ata-carnet/e-ata-carnet-project/
wcf-ata@iccwbo.org

[1] L’acronyme ATA est la contraction du français et de l’anglais « admission temporaire/temporary admission ». Le carnet ATA est établi en vertu de la Convention douanière sur le carnet ATA pour l’admission temporaire des marchandises (ou Convention ATA) et de la Convention relative à l’admission temporaire (ou Convention d’Istanbul).

[2] Une API est un outil qui établit les manières dont un logiciel peut interagir avec une application de telle façon à ce que les données de cette dernière soient disponibles dans le premier. Les API interagissent avec l’application cible uniquement en arrière-plan.