Projet C-RED de l’OMD : un effort collaboratif sans précèdent entre douanes et humanitaires pour mieux répondre aux crises épidémiques
20 juin 2018
Par Eve Gerard, WCO C-RED Project ManagerLors d’une catastrophe naturelle ou d’une épidémie, il est essentiel que la douane facilite, voire accélère, l’acheminement des marchandises de secours vers les victimes et contribue ainsi à diminuer le nombre de décès. Il est en effet inacceptable que ce nombre s’accroisse pour des raisons de formalités administratives.
Or, dans la pratique, lorsqu’une urgence humanitaire est déclarée, on observe souvent que les autorités douanières ne sont pas suffisamment préparées à traiter des articles de secours qui arrivent en masse et en très peu de temps. Les formalités d’importation sont souvent trop longues, qui plus est dès qu’une autre administration doit intervenir dans le dédouanement, par exemple pour délivrer un certificat ou un agrément.
Le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (BCAH) prévoit que le changement climatique va augmenter les risques de sécheresse, d’inondation et d’ouragan, et de phénomènes liés, tels le développement de maladies épidémiques. Il est donc plus que jamais urgent que les douanes et leurs partenaires soient préparés à faire face à ces évènements tragiques pour minimiser leurs coûts humain et économique.
En 2011, en soumettant la « Résolution relative au rôle de la douane dans les opérations de secours en cas de catastrophes naturelles[1] » à l’approbation de ses Membres, le Secrétariat de l’OMD avait voulu les encourager à prendre les mesures adéquates permettant des procédures frontalières efficaces. La résolution prône en particulier l’application des dispositions contenues au Chapitre 5 de l’Annexe spécifique J de la Convention de Kyoto Révisée (CKR) et, le cas échéant, enjoint les pays à signer « l’Accord type sur l’importation des envois de secours et des articles en la possession du personnel de secours en cas de catastrophes et de situations d’urgence », document mis au point conjointement par l’OMD et le BCAH. Cet accord répertorie toutes les mesures énoncées dans divers instruments internationaux ou reconnues comme efficaces dans la pratique.
Suite à l’adoption de la résolution, le Secrétariat de l’OMD a co-organisé quatre séminaires régionaux avec le BCAH et la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant rouge (IFRC). Ces séminaires régionaux ont rassemblé représentants des douanes et représentants du monde humanitaire pour partager expériences et perspectives sur les futurs besoins et contraintes de la douane en matière de gestion des désastres naturels.
Projet C-RED
L’assistance technique a pris une nouvelle ampleur en 2016, avec le lancement d’un projet de renforcement des capacités ciblant les administrations douanières des pays d’Afrique de l’Ouest ayant été touchés par l’épidémie de maladie à virus Ebola qui avait débuté au sud-est de la Guinée en décembre 2013.
Selon William Vannier, directeur de la chaîne d’approvisionnement de Médecins Sans Frontières, « la réponse à Ebola n’était pas une réponse médicale mais une question de logistique et d’approvisionnement. Les médecins n’étaient pas le principal besoin au Libéria pendant la période de pointe…[2] »
Or, une fois la réponse humanitaire enclenchée, des problèmes sont apparus notamment au niveau de l’importation des envois de secours : les capacités d’entreposage aux ports et aéroports étaient trop petites, l’inventaire chaotique, le contenu des conteneurs non spécifié ou indiqué dans une langue inconnue.
Fort des conclusions de l’analyse des manquements lors de la crise, l’OMD et le Ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas décident de lancer un projet innovant intitulé « la douane dans la lutte contre les maladies épidémiques » connu sous son acronyme anglais C-RED (Customs for Relief of Epidemic Diseases). Six administrations douanières des pays d’Afrique de l’Ouest qui ont été directement touchés par la crise Ebola en sont les bénéficiaires : la Guinée, le Libéria, le Mali, le Nigeria, le Sénégal et la Sierra Leone.
L’objectif est de faire en sorte qu’elles sachent mieux se préparer à lutter contre les conséquences des maladies épidémiques et des catastrophes naturelles dans leur pays ou la région. Pour cela, le projet vise à :
- s’assurer que les administrations disposent des équipements de protection individuelle pour les agents des postes-frontières au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée. Cet équipement, prêt à être distribué en cas de nouveau risque d’épidémie, permettra aux agents de se protéger des risques de transmission du virus et de rester opérationnels durant la période de
- optimiser les procédures de mainlevée des envois de secours en s’appuyant sur les meilleures pratiques internationales et de s’assurer de leur compréhension et mise en pratique sur le terrain. Ce soutien est personnalisé en fonction des besoins des pays et des procédures de facilitation existantes.
Pour mettre en œuvre ce projet, l’OMD coopère de manière étroite avec le BCAH. Les deux organisations continuent également à approfondir leur collaboration avec d’autres organisations internationales comme le Programme alimentaire mondial (PAM), la FICR et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La participation de ce réseau d’organisations internationales au projet permet de canaliser les efforts et de renforcer l’efficacité des actions menées dans les pays visés.
Équipements de protection individuelle
La première composante du projet consiste à fournir des équipements de protection individuelle aux administrations des douanes les plus touchées. Ces équipements ont été sélectionnés et livrés par le partenaire de l’OMD, à savoir le dépôt des Nations unies pour les actions humanitaires (UNHRD). Ces équipements sont maintenant stockés dans le centre de l’UNHRD à Accra où ils sont en attente de livraison aux trois pays bénéficiaires : Libéria, Guinée et Sierra Leone. L’OMD a également édité 1000 brochures (en anglais et en français) qui détaillent la manière d’utiliser correctement ces équipements en cas de crise.
Soutien national
S’agissant de la seconde composante, l’OMD propose un soutien à chaque pays sous la forme suivante :
- soutien pour le développement ou la mise à jour de procédures opérationnelles standard (POS) relatives à l’acheminement des marchandises de secours en cas d’urgence,
- appui à la mise en œuvre de ces POS, via notamment la création de matériel de formation et l’accompagnement des administrations douanières dans des exercices de simulation.
- renforcement ou développement de la coopération entre les organismes présents aux frontières pour une gestion coordonnée des frontières.
L’OMD a, à ce jour, soutenu très activement et en temps limité cinq des six pays ciblés : le Nigéria, la Guinée, le Mali, la Sierra Leone et le Libéria.
Nigéria
Trois missions OMD/BCAH ont été réalisées au Nigéria entre juillet 2017 et mars 2018. Elles ont permis d’identifier les goulets d’étranglement lors du dédouanement des marchandises de secours, puis de mettre au point des procédures opératoires normalisées ou standard (POS). Des recommandations relatives au dédouanement des marchandises de secours serviront de feuille de route pour les prochaines actions à mener. L’OMD mise sur la validation prochaine des POS au niveau gouvernemental et le suivi des recommandations dans des délais fixés par les autorités nigérianes. Le Service des douanes du Nigéria a insisté sur la participation de tous les acteurs concernés par la procédure de dédouanement aux réunions C-RED afin de garantir une coordination effective à la frontière entre acteurs de la chaîne logistique et agences gouvernementales.
Guinée
En Guinée, deux missions ont été organisées en juillet et en octobre 2017 durant lesquelles des rencontres se sont tenues entre acteurs publics et privés pour discuter notamment des difficultés rencontrées lors de la crise Ebola et des goulets d’étranglement constatés par les acteurs de l’humanitaire. La Direction des douanes a notamment pu présenter aux autres administrations la fonction cruciale qu’elle joue dans le contrôle des passagers et des bagages aux frontières. Il a été constaté à quel point la lourdeur administrative peut mener à des blocages ralentissant l’entrée et la distribution des biens de secours. À l’inverse, un manque de réglementation mènera à une qualité d’action peu satisfaisante et à des efforts dispersés.
Les missions de l’OMD ont débouché sur la rédaction d’un guide national auquel pourront se référer les acteurs de la communauté humanitaire et les différentes administrations concernées. Comme au Nigéria, des POS et des recommandations ont également été élaborées avec les différents services, et leur mise en œuvre fait l’objet d’un suivi en 2018.
Mali
Au Mali, après avoir accueilli une mission de diagnostic en septembre 2017, la Douane a pris l’initiative d’affiner elle-même ses POS et de faire approuver ces procédures par l’ensemble des parties concernées. L’OMD a ensuite financé l’organisation d’un séminaire réunissant les acteurs de la mission de diagnostic et assure depuis le suivi de l’adoption et de la mise en œuvre des recommandations.
Sierra Leone
En Sierra Leone, une première mission de diagnostic s’est déroulée à la fin du mois d’octobre 2017. Le projet d’élaboration des POS a été initié, des recommandations visant à améliorer les procédures nationales actuelles ayant déjà été formulées.
Libéria
Au Libéria, une mission de diagnostic vient juste de se tenir en mai 2018 et les POS en vigueur dans ce pays ont été révisées.
Le projet prendra fin en octobre 2018. Au cours des derniers mois du projet, les efforts se concentreront sur la formation du personnel d’encadrement des douanes et d’autres ministères – l’objectif étant que ces cadres supérieurs transmettent ensuite les connaissances acquises aux agents dont ils ont la charge, ainsi qu’aux représentants des organismes humanitaires, afin que les POS soient connues de tous.
Dimension régionale
Au niveau régional, des ateliers sont organisés afin de rassembler tous les représentants des différents services gouvernementaux des pays bénéficiaires et les partenaires régionaux tels que le Bureau régional pour le renforcement des capacités en charge de l’Afrique occidentale et centrale (BRRC-AOC) et le Secrétariat de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Un premier atelier à Freetown, en Sierra Leone, s’est tenu en Novembre 2016 et s’est concentré sur la création d’un réseau régional de points de contact et sur l’identification des besoins spécifiques de chaque pays bénéficiaire. Le deuxième atelier, qui s’est tenu au Sénégal en mai 2018, a rassemblé davantage de participants (plus de 60 personnes) et a permis de mettre en exergue les leçons apprises et d’examiner les suites à donner à ce projet innovant. Un troisième atelier est prévu en Guinée d’ici la fin du projet.
Conclusion
Les services douaniers, les autres agences impliquées dans la gestion des frontières et les acteurs humanitaires s’étaient déjà retrouvés autour de la même table dans le cadre d’autres programmes de renforcement des capacités menés par l’OMD et ses partenaires. Cependant, le projet C-RED a instauré un niveau de collaboration exceptionnel, sans doute jamais égalé. Il a permis de rédiger à « plusieurs mains » des procédures qui prennent en compte les contraintes et les réglementations des différents acteurs gouvernementaux. Une nouvelle synergie est née dans les pays ciblés, synergie qui leur permettra de mieux répondre à de futures crises.
En savoir +
www.wcoomd.org
[1] http://www.wcoomd.org/-/media/wco/public/fr/pdf/about-us/legal-instruments/resolutions/resolution_f.pdf.
[2] https://successfulsocieties.princeton.edu/sites/successfulsocieties/files/DP_Supplies_Final_April%202017_0.pdf.
– Le Chapitre 5 sur les envois de secours figurant à l’annexe J spécifique de la Convention internationale révisée de l’OMD sur la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers (Convention de Kyoto révisée) liste plusieurs mesures de facilitation, par exemple le fait d’autoriser le dépôt d’une déclaration de marchandises simplifiée ou incomplète sous réserve que la déclaration soit complétée dans un délai déterminé.
– L’annexe B9 de la Convention de l’OMD sur l’admission temporaire stipule que l’admission temporaire peut être accordée sans qu’un document douanier ou une garantie ne soit exigés et que les autorités douanières peuvent exiger un simple inventaire des marchandises, accompagné d’un engagement de réexportation ;
– d’autres mesures appropriées pour accélérer la fourniture de l’aide humanitaire prévoient l’élimination de l’obligation de fournir des certificats d’origine, des factures consulaires et des certificats de fumigation ou de dispenser des licences d’importation / d’exportation.
Ces dispositions et mesures ont été rassemblées et énoncées dans le Modèle d’accord douanier pour l’importation des secours et possessions de secours du personnel de secours en cas de catastrophe et d’urgence élaboré conjointement par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (ONU BCAH) et l’OMD.