Panorama

Les femmes en douane : projecteur sur le parcours d’Emilienne Pambo Bouassa

20 juin 2018

Le 4 avril 2018 a été un jour particulier dans la vie d’Emilienne Pambo Bouassa. Douanière d’origine gabonaise, elle assiste aux festivités organisées à Dakar par la Douane du Sénégal à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance du pays en présence du ministre du budget.

Son uniforme beige tranche au milieu des uniformes bleus des douaniers sénégalais. Vient le moment des remises des décorations aux douaniers méritants. Emilienne se lève et va à la rencontre du ministre qui a appelé son nom afin de lui remettre la médaille d’honneur de la Douane sénégalaise pour services rendus à l’Administration.

Quelques minutes plus tard, elle épingle à son uniforme la médaille d’honneur qu’elle a reçue en janvier 2018 de sa propre Administration, après 30 ans de services. « Que la Douane gabonaise me décerne une médaille d’honneur, cela peut se comprendre, mais venant de la Douane sénégalaise, cela m’est apparu comme un rêve impossible », dira-t-elle aux personnes venues la féliciter.

Emilienne avait rejoint en septembre 2002 le Bureau régional de Liaison chargé du Renseignement pour l’Afrique de l’Ouest (BRLR/AO), basé à Dakar dans les locaux de la Douane sénégalaise, en tant qu’analyste du Renseignement au BRLR/AO. « Le Directeur général de la Douane gabonaise de l’époque avait cru en moi, estimant que je pouvais affronter l’aventure de la douane à l’international en tant, à la fois, qu’attaché douanier et analyste du renseignement. Les Directeurs qui ont suivi m’ont également soutenue et encouragée chacun à sa manière. Je réalisai que mes rapports étaient lus ! »

À l’époque de sa nomination, le Gabon n’a pas encore de réseau d’attachés douaniers. Emilienne est donc le premier douanier à occuper ce poste. D’autres seront nommés plus tard à Bruxelles, Paris, Washington et Pékin. Le Gabon et le Sénégal entretiennent des liens diplomatiques forts. Depuis les années 70, nombre de sénégalais se sont installés au Gabon. Emilienne connaît le Sénégal puisque son mari y réside depuis déjà deux ans quand elle est nommée au BRLR et qu’elle a déjà rendu visite à la Douane sénégalaise pour étudier leur pratique en matière d’évaluation en douane notamment. L’arrivée au Sénégal est donc relativement facile. Elle sait qu’elle entre dans l’inconnu, mais elle sait aussi qu’elle pourra compter sur sa famille.

Emilienne recevant des mains du Ministre du budget la médaille d’honneur de la Douane sénégalaise pour services rendus à l’Administration

Si la Douane gabonaise qu’elle intègre en 1988 en tant qu’inspecteur vérificateur est une administration depuis longtemps habituée aux femmes (la première femme entre à la Douane gabonaise en 1980), la Douane sénégalaise n’en compte à l’époque de son arrivée aucune dans ses rangs. La loi stipule en effet que ne peuvent accéder au corps de la  Douane que les sénégalais de sexe masculin. Le Directeur général veut cependant que la situation change et la venue d’Emilienne va lui permettre d’arriver à ses fins.

Cette dernière se sent vite la bienvenue. Elle est invitée à présenter la Stratégie de l’OMD en matière d’information et de renseignement aux divers comités de Direction, à participer aux Journées internationales de la Douane et motivée à prendre la parole quand cela est nécessaire. Elle rencontre aussi le Ministre du budget qui lui demande ce que cela fait d’être une femme en douane. « En 15 ans de carrière, je ne me suis jamais retrouvée dans une situation qui m’a fait regretter d’être une femme », lui répond-elle.

Trois ans après son arrivée, une jeune femme étudiant à l’École Nationale d’Administration choisit d’intégrer la section douane, puis une autre et encore une autre. Petit à petit les femmes rejoignent la Douane sénégalaise avant même que la loi leur en fermant l’accès ne soit abrogée, ce qui est désormais chose faite. Elles sont aujourd’hui présentes à tous les grades. « J’ai vécu l’arrivée de ces jeunes femmes en douane avec fierté, comme si j’étais dans les coulisses d’un grand spectacle, comme témoin d’un tournant dans l’histoire d’un pays », déclare Emilienne.

Le BRLR en place à Dakar couvre l’Afrique de l’Ouest. En le rejoignant, Emilienne a notamment pour mission de réactiver le BRLR Afrique centrale, l’idée étant de gérer les deux BRLR à partir de Dakar dans un premier temps. Cependant la structure qu’elle intègre est peu organisée et dispose d’un seul agent, un fonctionnaire sénégalais détaché à cette structure mais ayant aussi nombre de responsabilités au niveau national, s’occupant entre autres des affaires liées au Bureau du renseignement sénégalais. Ne sachant pas vraiment comment doit fonctionner un BRLR, Emilienne se tourne vers l’OMD qui lui propose de participer au programme de bourse et de faire son stage au BRLR d’Europe de l’Ouest. De retour à Dakar, Emilienne, son collègue sénégalais et le responsable du BRLR fraîchement nommé établissent un plan d’actions avec des objectifs et des priorités.

Une des tâches d’un BRLR est de produire des analyses. Or, pour cela, il faut que toutes les administrations de la région sachent ce qu’est le renseignement et entrent leurs données dans la base de données du Réseau douanier de lutte contre la fraude (CEN) de l’OMD. Un des premiers objectifs de l’équipe sera donc de faire approuver par les Directeurs généraux la mise en place d’une instruction cadre sur le renseignement au sein des administrations. Pour ce faire, il faut tout d’abord que les Directeurs généraux connaissent le BRLR et ses fonctions. L’équipe demande à ce que soit inscrit à l’ordre du jour de la Conférence annuelle des Directeurs généraux des Douanes de la région OMD/AOC un point sur les BRLR. Le projet d’une instruction cadre y est présenté et accepté. Les Directeurs s’engagent à mettre en place dans leur administration une structure chargée du renseignement, donc de collecter des informations sur la fraude et de les transmettre au BRLR.

Une fois les structures nationales créées, leurs membres sont invités à Dakar pour suivre une formation à l’utilisation du CEN et se familiariser avec les outils pertinents de l’OMD. Cependant, les frais de voyage n’étant pas couverts, aucun pays ne répond à l’invitation. L’équipe du BRLR demande au Directeur général de la Douane du Sénégal un soutien financier et l’obtient. La première réunion de l’équipe du BRLR et de ses correspondants nationaux est organisée.

Ainsi, à force de travail, le BRLR d’Afrique centrale est réactivé et un fonds régional pour soutenir financièrement les activités des deux bureaux est instauré. Il s’agit de faire en sorte que toutes les administrations contribuent à part égale pour financer notamment les visites aux administrations à des fins de formation et de sensibilisation sur la lutte contre les trafics illicites.

L’équipe est vite capable de faire ses propres analyses des tendances. C’est d’ailleurs une de leur analyse mettant en lumière les saisies de cocaïne en Europe sur des vols en provenance d’Afrique de l’Ouest qui va donner naissance à la toute première opération organisée par l’OMD : l’Opération COCAIR qui en est à sa sixième édition. Outre qu’il participe à pratiquement toutes les opérations de lutte contre la fraude organisées par l’OMD et ses partenaires, le BRLR organise aussi indépendamment une opération régionale contre le trafic de produits pharmaceutiques, l’opération CRIPHARM, qui en est, elle, à sa troisième édition.

Emilienne estime que le travail réalisé dans la région en matière de lutte contre la fraude a évolué depuis 15 ans. L’organisation des services et l’attitude des agents se sont améliorées. Ce progrès transparaît dans la quantité et la qualité des données sur les saisies rapportées par les pays, ainsi que dans les échanges entre les équipes nationales et les deux BRLR qui, s’ils sont à présent implantés dans des pays différents, travaillent de façon conjointe.

Elle-même a eu à cœur de toujours apprendre et est devenue une formatrice aguerrie. Elle est d’ailleurs expert accrédité auprès de l’OMD dans le domaine de la Convention internationale révisée de l’OMD sur la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers (Convention de Kyoto révisée) et est en cours d’accréditation en matière de gestion des risques.

Quant à la place de la femme en douane, Emilienne considère qu’il y a encore des progrès à faire. « Ayant grandi et étudié au Gabon, je n’ai jamais senti que des portes me seraient fermées à cause du fait que je suis une femme. Cependant l’évolution des femmes au sein d’une structure telle que la Douane gabonaise en termes de responsabilités, donc leur avancement, pose toujours problème. Je suis une de ces femmes qui ont eu la chance d’évoluer », explique-t-elle.

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