Le Système harmonisé : 30 ans et toujours aussi pertinent
20 juin 2018
Par Kunio Mikuriya, Secrétaire général de l’OMDLe Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, appelé généralement « Système harmonisé » ou simplement « SH », est rarement évoqué dans les pages de ce magazine. C’est pourtant un instrument phare, voire l’ossature principale de l’OMD. Nomenclature répertoriant les produits transportables, le SH est devenu au fil des années un langage universel pour identifier les marchandises commercialisées à l’échelle internationale, presque tous les pays du monde se basant désormais sur le SH pour déterminer leurs tarifs douaniers et recueillir des statistiques commerciales.
Les gouvernements l’utilisent pour évaluer les droits et les taxes et faire appliquer les lois et réglementations douanières et commerciales. Les entreprises l’utilisent pour gérer leurs obligations réglementaires et superviser les chaînes logistiques. Les négociateurs y ont recours pour élaborer des accords commerciaux régionaux et multilatéraux. Les organisations internationales travaillant dans des domaines aussi divers que la sécurité alimentaire, la protection de l’environnement et même la sécurité mondiale, s’appuient sur des données codées selon le SH pour rendre compte des progrès accomplis ou surveiller les échanges de marchandises réglementées ou interdites.
Si le SH peut apparaître d’emblée aux lecteurs comme un sujet technique ardu, il est néanmoins fascinant. À l’occasion de son 30ème anniversaire, nous avons décidé de rassembler dans ce numéro un certain nombre d’articles expliquant comment le SH est géré et d’examiner s’il peut être amélioré et si une révision structurelle s’impose. Dans cet article, j’expose brièvement l’histoire du SH, son évolution, la manière dont il est mis à jour et souligne certains des défis à relever, en espérant éclairer nos lecteurs sur cet instrument fondamental.
Aperçu Historique
Le concept de nomenclature résulte d’un long processus dont les racines remontent à l’antiquité. Selon le professeur japonais Hironori Asakura, le premier tarif douanier jamais découvert aurait été instauré par les autorités douanières de l’empire romain. Des sénateurs romains, installés dans la ville-oasis de Palmyre, au milieu du désert syrien, avaient inventé un système de tarification douanière listant différentes marchandises soumises à différentes taxes.
Dans son livre Histoire mondiale de la douane et des tarifs douaniers, le professeur Asakura explique : « même si les droits de douane précédèrent Rome, notamment dans l’Égypte antique et dans la Grèce classique, ils étaient généralement imposés à un taux unique et appliqués systématiquement à toutes sortes de marchandises. » Avec un taux unique, il n’est pas nécessaire d’avoir un tarif douanier où sont répertoriés différents types de marchandises associés à différents taux.
Le tarif douanier de Palmyre ainsi que la plupart des nomenclatures du monde occidental antérieures au XVIIIème siècle étaient alphabétiques. Au XIXème siècle, plusieurs pays sont passés à une nomenclature basée sur un classement systématique. Le tarif douanier français de 1822, par exemple, regroupait des marchandises classées principalement selon leur nature (animaux vivants, farines, pierre, terre et autres minéraux, etc.). Les fondements de la nomenclature douanière, développée par la suite, étaient ainsi posés.
La période qui a suivi la première guerre mondiale a été le début de l’ère de la coopération internationale en matière de douane et de tarif douanier. Il est apparu essentiel de simplifier et d’unifier les nomenclatures pour améliorer le recouvrement des recettes, faciliter le commerce et améliorer les statistiques commerciales. La première nomenclature douanière internationale, appelée nomenclature de Genève, a été développée sous l’égide de la Société des Nations et intégrait la structure de certains tarifs douaniers du XIXème siècle comme le tarif français.
Plus tard, au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’ardeur à reconstruire l’économie et l’aspiration à une plus grande liberté commerciale ont créé les conditions favorables à une normalisation des tarifs douaniers et ont fait naître le besoin d’une nomenclature des marchandises commune et reconnue à l’échelle internationale. C’est ainsi qu’a été adoptée en 1950 la Convention sur la nomenclature pour la classification des marchandises dans les tarifs douaniers, s’appuyant dans une large mesure sur la structure de base du tarif français. Cette nomenclature de 1950 déterminera par la suite d’autres nomenclatures tarifaires ou statistiques comme la Classification type pour le commerce international des Nations Unies et celles qui suivront.
Le texte de la Convention de 1950 entre en vigueur en 1959. Appelé initialement Nomenclature tarifaire de Bruxelles, ce texte a été baptisé plus tard Nomenclature du Conseil de coopération douanière (NCCD). La NCCD se composait de codes à quatre chiffres mais, dans la pratique, de nombreux acteurs allaient au-delà des quatre chiffres pour fournir plus de détails. Dans certains cas, un produit pouvait être désigné de 17 manières différentes entre le moment où il quittait le lieu de fabrication et son arrivée chez l’importateur. Le SH, qui définit les produits sur six chiffres, a résolu ce problème.
Naissance du SH
Début 1970, il a été convenu au niveau international que le Conseil de coopération douanière (appelé aujourd’hui OMD) devait réaliser des études en vue d’une nouvelle nomenclature. Les travaux préparatoires engagés en 1973 ont donné lieu, 13 ans plus tard, au SH et à l’établissement d’une nouvelle convention en vue de la mise en œuvre de ce nouveau système. Le Conseil de l’OMD, organe décisionnaire au plus haut niveau de l’Organisation, a adopté la Convention sur le SH en juin 1983 et ses Notes explicatives en juin 1985.
Le 22 septembre 1987, 26 pays participaient à la cérémonie de signature de la Convention. Le SH est finalement entré en vigueur le 1er janvier 1988 avec 37 Parties contractantes. Depuis, un nombre croissant de pays utilisent le SH, lequel compte aujourd’hui 157 Parties contractantes. Si l’on ajoute les pays et les unions douanières et/ou économiques qui l’utilisent sans avoir ratifié la Convention, on peut affirmer avec certitude qu’il s’agit d’un instrument d’application mondiale.
Suivi et mises à jour
Une nomenclature qui ne change pas ou ne tient pas compte de l’évolution des technologies et des habitudes des consommateurs engendre de graves difficultés, voire des litiges en matière de classement. Remarquons ici que seules les Parties contractantes à la Convention peuvent participer à l’administration et à la mise à jour du SH et de ses documents connexes, et peuvent proposer des amendements à la nomenclature en suivant la procédure exposée ci-après.
Depuis 2002, le SH est révisé tous les cinq ans afin d’intégrer les évolutions technologiques et les tendances du commerce international. Ce système fonctionne bien, tant pour l’OMD que pour les utilisateurs du SH. Les positions et sous-positions correspondant à des produits peu commercialisés sont généralement supprimées (les gramophones, par exemple), avec toutefois des exceptions. Certains produits notamment qui semblent sur le déclin connaissent subitement un regain d’intérêt auprès des consommateurs (prenons l’exemple des disques vinyle). Par ailleurs, sont créées des positions ou sous-positions pour les produits nouveaux qui ne peuvent pas être identifiés dans la nomenclature telle qu’elle est structurée.
Le SH a déjà été modifié six fois. Sa 7ème édition est en cours et entrera en vigueur le 1er janvier 2022. L’OMD est donc actuellement absorbée par les préparatifs du SH 2022. Il s’agit de réviser non seulement la nomenclature mais aussi tous les instruments « d’aide » au classement, notamment les Notes explicatives. Ce n’est pas une tâche facile et je suis fier de dire que l’OMD persévère comme toujours, concentrée sur son objectif, pour produire une nomenclature au service du commerce international jusqu’au prochain cycle de révision.
Résultats
Un travail considérable a été effectué ces 30 dernières années au sein des différents comités chargés de gérer cet outil mondial. Les statistiques ci-dessous sont parlantes et démontrent clairement tout le travail que représentent la gestion et la révision du SH :
- 61 réunions du Comité du SH (CSH), et du Groupe de travail du SH chargé de préparer les réunions du Comité, ont été tenues (chacune pendant deux semaines, durée record pour une réunion internationale), 4224 points discutés, 10 Recommandations du Conseil sur l’application de la Convention sur le SH produites, 2555 décisions de classement prises, et 906 avis en matière de classement adoptés pour assurer une application uniforme du classement des marchandises à l’échelle mondiale ;
- 54 réunions du Sous-Comité de révision (SCR) ont contribué au suivi et à la mise à jour du SH pour qu’il continue de répondre et demeure adapté aux besoins actuels ;
- 33 réunions du Sous-Comité scientifique (SCS) ont appuyé les travaux sur le SH principalement dans le domaine de la chimie et des laboratoires des douanes.
Des outils et instruments ont également été développés pour aider les administrations des douanes et les entreprises à classer leurs marchandises selon le SH. Ceci représente aussi un travail considérable mais nécessaire étant donné la complexité du SH. Il s’agit :
- des Notes explicatives qui contiennent des descriptions techniques des marchandises et des indications pratiques en vue du classement et de l’identification des produits ;
- du Recueil des avis de classement qui liste les décisions de classement les plus importantes et/ou difficiles prises par le CSH et adoptées par le Conseil de l’OMD ;
- de l’Index alphabétique qui énumère tous les produits cités dans la Nomenclature et dans les Notes explicatives, et comprend également les Notes légalement contraignantes relatives à la section, au chapitre ou à la position dans lesquelles le produit est cité, ainsi que les pages des Notes explicatives où le produit est cité.
Tous ces outils sont regroupés dans la Base de données du SH en ligne qui constitue une aide considérable au classement de marchandises.
Se joindre à la discussion
Lors des réunions des différents comités du SH, les délégués représentent leurs pays et défendent les opinions de leurs pays. Mais un ancien délégué m’a confié récemment que les comités étaient aussi des lieux où l’on pouvait puiser des idées, qu’il était important non seulement de faire part de ses propres réflexions mais aussi d’apprendre, d’écouter, d’attendre et d’essayer de comprendre comment les autres pensent. Selon lui, les discussions qui ont lieu pendant ces réunions permettent à chaque délégué de s’améliorer, de retourner dans son pays avec une expertise renforcée et conduit même, parfois, à changer d’avis.
Les délégations participant aux réunions du CSH se composent de personnes actives et d’autres qui le sont beaucoup moins. Il peut arriver que des délégués ne se sentent pas assez compétents pour prendre la parole. L’OMD fournit une assistance technique aux pays voulant renforcer leurs capacités en matière de classement et, ce faisant, les encourage aussi à assister au CSH et à prendre une part active aux délibérations. Nous ressentons toujours une certaine fierté quand des personnes, auparavant peu actives mais qui ont depuis suivi nos formations, prennent la parole et expriment leurs opinions avec confiance. Grâce à la formation, elles se sentent mieux armées et dotées des connaissances suffisantes pour intervenir.
Coopération
Des représentants d’organisations intergouvernementales et internationales ainsi que des experts d’entreprises, dont la participation est jugé souhaitable, peuvent assister aux réunions du CSH et du SCR en tant qu’observateurs. Ces personnes nous aident à faire avancer le SH en veillant à ce qu’il demeure utile et pertinent et qu’il réponde aux besoins et aux attentes de la communauté douanière et économique au sens large.
Les préoccupations liées à la sécurité ont également récemment mené à des amendements au SH. Par exemple, à la demande de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), l’édition 2017 du SH comporte de nouvelles sous-positions correspondant à des produits chimiques spécifiques contrôlés dans le cadre de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques. L’objectif est de faciliter le recueil et la comparaison des données sur la circulation de ces substances à l’échelle internationale.
Par ailleurs, les questions liées à l’environnement représentant aujourd’hui des enjeux majeurs à l’échelle du globe, l’édition 2017 du SH comprend de nouveaux codes pour les produits chimiques dangereux contrôlés en vertu de la Convention de Rotterdam et pour certains polluants organiques persistants (POP) relevant de la Convention de Stockholm.
En outre, à la demande de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), de nouvelles sous-positions ont été créées pour le suivi et le contrôle des préparations pharmaceutiques contenant de l’éphédrine, de la pseudoéphedrine ou de la noréphédrine, et de l’alpha-phénylacétoacétonitrile (APAAN), des pré-précurseurs de drogues.
La plupart des modifications apportées récemment ont été demandées par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Le SH couvre désormais certains poissons, produits de la pêche et produits forestiers de manière plus détaillée, permettant à la FAO de suivre les évolutions dans le domaine de la sécurité alimentaire et de la durabilité de l’exploitation forestière, par exemple. Je vous invite d’ailleurs à lire l’article de la FAO sur le rôle important joué par le SH pour cette organisation.
La Chambre de commerce internationale (ICC) et la Fédération internationale des associations d’agents/de courtiers en douane (IFCBA) ont également contribué à ce numéro, mettant en avant les difficultés liées à l’application du SH, les bonnes pratiques à adopter pour améliorer la conformité, et la manière dont l’industrie peut s’engager sur des questions de classement auprès de l’OMD. Il est à noter ici que les décisions du CSH s’appuient sur des informations techniques, notamment sur des données cruciales fournies par les fabricants, sans répondre toutefois à un quelconque intérêt commercial.
Défis et perspectives
Le SH est un document « vivant ». Contrairement à de nombreux instruments internationaux, il dispose d’un système d’amendement simple et clair qui lui permet d’être à jour et de rester pertinent. Ce système d’amélioration progressive sera, bien entendu, conservé. Cependant, la communauté économique internationale nourrit toujours des attentes élevées quant à une accélération du processus décisionnel et à la prise de décisions à caractère obligatoire concernant le SH, afin de pouvoir donner des réponses et des garanties aux entreprises. Ces deux points ont été examinés par les Parties contractantes au SH dans le cadre du Groupe de travail de haut niveau sur les questions liées au SH, mais les réunions de ce dernier n’ont pas abouti à des résultats concluants.
Afin d’accélérer le processus décisionnel au sein du CSH en limitant le nombre de réserves exprimées à l’encontre de ses décisions, le Conseil de l’OMD a adopté en juillet 2017 une Recommandation relative à l’amendement de l’Article 8 de la Convention sur le SH. Cependant un Membre de l’OMD a exprimé des réserves et les discussions se poursuivent. Si elle est acceptée, la Recommandation facilitera grandement le travail du Comité.
Un autre point concerne la possibilité de simplifier la structure du SH et de la rendre plus conviviale pour les entreprises. Je vous invite à lire à ce sujet l’article du Secrétariat de l’OMD inclus dans ce dossier.
Améliorer la conformité des opérateurs est également important. Disposer d’une infrastructure de classement moderne et de codes SH exacts garantit des informations fiables sur ce qui est commercialisé dans le monde. Ces informations servent à des domaines comme l’économie, la sécurité, la santé et le bien-être, la stabilité politique, l’environnement et la gestion des ressources, et sont aussi indispensables pour la gestion des risques. Par ailleurs, grâce aux technologies de l’information, nous devrions être en mesure d’analyser et d’utiliser des données et informations d’une ampleur et d’une complexité incomparables. Mais l’utilité de ces informations dépend de la quantité et de la qualité des données que nous injectons dans le processus.
Une des mesures clés à cet égard est la mise en œuvre d’un programme de renseignements contraignants permettant aux administrations de rendre des décisions anticipées. Les décisions anticipées ont pour but de renforcer la prévisibilité et la transparence des procédures de dédouanement et sont essentielles à tout programme visant à assurer la conformité douanière de manière efficace et fiable. Elles offrent à l’opérateur une plus grande certitude quant à son respect des prescriptions douanières et quant aux taxes dont il devra s’acquitter. Enfin, elles réduisent la probabilité d’une intervention de la douane et permettent à cette dernière de recevoir des renseignements préalables sur des transactions qui peuvent alimenter son système de gestion des risques.
Soulignons que, bien qu’elles soient à l’ordre du jour de l’OMD depuis de nombreuses années, les décisions anticipées se voient accorder une nouvelle importance grâce à la conclusion de l’Accord sur la facilitation des échanges de l’OMD qui introduit l’obligation pour ses membres de rendre des décisions anticipées contraignantes en ce qui concerne le classement.
Pour conclure, j’aimerais remercier sincèrement tous les collaborateurs qui ont participé à l’élaboration de ce dossier ainsi qu’en général tous les auteurs qui ont accepté de nous faire part de leur expérience sur différentes questions douanières à travers leurs articles. C’est avec enthousiasme et dévouement que nous avons travaillé sur ce nouveau numéro du magazine et nous espérons que vous en apprécierez la lecture.