La riposte d’Israël face aux menaces pesant sur le patrimoine culturel
22 février 2019
Par Dr Eitan Klein et Ilan Hadad, Unité de prévention du vol d’antiquités, Autorité des antiquités d’IsraëlL’État d’Israël compte plus de 30 000 sites historiques connus. La plupart sont à ciel ouvert, sans surveillance et facilement accessibles au public. Cette situation n’est pas unique dans la région et il en est de même dans les pays voisins comme la Jordanie, l’Égypte, la Syrie, le Liban, l’Irak et la Turquie,. Cependant, contrairement à Israël, ils ne permettent, eux, aucun commerce des antiquités.
En Israël, en effet, ce commerce est permis. L’Autorité des antiquités d’Israël (IAA de son acronyme anglais) est chargée de le réglementer. Le pays compte plus de 40 antiquaires, dont la plupart déploient leurs activités à Jérusalem et dans ses environs. Ils sont tenus de respecter la loi israélienne sur les antiquités, en vigueur depuis 1978, qui stipule que toute antiquité retrouvée suite à une excavation ou des fouilles en Israël après 1978 est propriété de l’État. La loi stipule également que les fouilles des sites archéologiques sont permises uniquement à des fins de recherche scientifique et exigent la délivrance de licences d’excavation.
Commerce illicite
Dans ce contexte, la question qui se pose tout naturellement est : d’où proviennent les objets anciens vendus dans les magasins d’antiquités ? Selon la loi, il ne peut s’agir que d’objets obtenus auprès de collectionneurs privés et acquis ou retrouvés avant 1978. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas et certains proviennent d’excavations plus récentes réalisées sur des sites historiques, notamment ceux situés sur les collines de Judée et dans les environs de Jérusalem. Le commerce illicite est mené par des bandes organisées de voleurs professionnels qui fouillent systématiquement les sites antiques, s’introduisent dans les caveaux funéraires et détruisent complètement les anciennes structures.
Rien que dans les collines de Judée, 6 200 caveaux ont été forcés et des « tels bibliques » (les tertres qui se sont formés au cours de plusieurs millénaires et qui contiennent les vestiges des divers peuplements qui se sont succédé, attestant de la présence de plusieurs civilisations) ont été excavés à la recherche de tombeaux. Les systèmes de cavernes souterraines utilisés lors de la Grande Révolte (66 et 73) et de la révolte de Bar Kokhba (132-135) contre les Romains ont été systématiquement pillés afin d’y trouver des pièces de monnaie de l’époque qui ont une grande valeur aujourd’hui.
Ainsi, des pages entières de l’histoire ont été effacées par les bêches et les bulldozers des pillards. Les sites antiques détruits par les voleurs ne peuvent plus faire l’objet d’aucune recherche archéologique puisque l’ordre originel des niveaux chronologiques attestant de la présence de peuples et de civilisations durant des milliers d’années a été détruit. Souvent, le plus important pour les archéologues et les experts est de pouvoir étudier les objets dans leur contexte afin de voir comment ils se rapportent les uns aux autres et à l’endroit où ils ont été retrouvés. Une fois que les pièces de monnaie, les poteries et les objets en verre, par exemple, ont été retirés de leur contexte, il devient presque impossible de replacer une grande partie des connaissances qu’ils pourraient livrer dans leur contexte d’origine et donc, d’étudier la culture matérielle du site.
Les objets excavés illégalement proviennent également de l’étranger. Israël étant le seul pays du Proche-Orient où le marché des antiquités est légalement régulé, nombreuses sont les tentatives visant à y introduire des objets en contrebande. Avant que l’obligation d’un permis d’importation ne soit introduite en 2012, ces articles entraient sur le territoire national sans devoir faire l’objet d’une déclaration et étaient ensuite vendus aux antiquaires. Bien que ces derniers soient obligés de tenir un inventaire de leurs marchandises, certains blanchissent les objets illicites en les faisant apparaître dans leur catalogue en remplacement d’articles vendus dont la vente n’a pas été déclarée.
Les efforts de l’Unité de prévention du vol d’antiquités (ATPU de son acronyme anglais) de l’IAA visant à endiguer ce phénomène s’articulent autour de plusieurs activités, dont :
- la surveillance régulière des sites archéologiques ;
- le recours aux informateurs ;
- la surveillance et les contrôles du marché des antiquités et des catalogues des antiquaires ;
- le suivi des plateformes et places de marché en ligne ainsi que des réseaux sociaux ;
- l’indexation et la numérisation des collections archéologiques privées ;
- le recensement des sites pillés et la conduite d’excavations sur ces sites ;
- la coopération avec les autres services gouvernementaux nationaux tels que la douane, l’Agence de contrôle aux frontières, la police, l’armée, l’administration fiscale et l’Autorité israélienne pour la nature et les parcs nationaux ;
- l’aide au grand public.
De plus, l’ATPU, ensemble avec le département juridique de l’IAA, a fortement contribué à ce que des amendements législatifs soient adoptés afin de mieux prévenir la délinquance liée au patrimoine culturel. Parmi ces changements, il convient de citer notamment : (a) une interdiction d’entrée en Israël d’antiquités provenant du territoire sous la tutelle des autorités palestiniennes, en 2002 ; (b) un durcissement de la législation relative aux collectionneurs d’antiquités et aux collections privées, en 2009 ; (c) une nouvelle ordonnance exigeant un permis d’importation pour les antiquités afin d’empêcher l’entrée sur le territoire national d’objets issus d’excavations réalisées dans des pays étrangers et d’endiguer les activités délictueuses de blanchiment, en 2012 ; (d) une règlementation plus stricte exigeant la soumission de fichiers informatisés et de photographies des catalogues de tous les antiquaires, en 2015. Des travaux sur une nouvelle règlementation sont à présent en cours afin d’imposer également une obligation de licence pour la possession et l’utilisation de détecteurs de métaux.
Collaboration internationale
Le marché israélien se trouve véritablement à la croisée des chemins dans le commerce international d’antiquités. De ce fait, Israël partage régulièrement des informations sur des objets découverts et sur d’autres cas intéressants avec plusieurs instances internationales telles qu’INTERPOL, l’OMD, l’Institut international pour l’unification du droit privé (Unidroit), l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), le Conseil international des musées (ICOM), ainsi qu’avec les organes chargés du respect de la loi partout dans le monde. Il mène également des enquêtes internationales et quelques cas illustrant ce travail sont détaillés ci-après.
Sarcophage égyptien
Durant une visite chez un antiquaire, le couvercle d’un sarcophage égyptien a été retrouvé sans que l’antiquaire ne puisse en prouver la provenance. Israël a donc contacté les autorités égyptiennes à travers INTERPOL et le Ministère des Affaires étrangères israélien. Il a pu être établi que l’objet avait été volé et il a été rendu en conséquence à l’Égypte.
Objets irakiens
La Résolution 2199 du Conseil de sécurité de l’ONU stipule que « tous les États Membres doivent prendre les mesures voulues pour empêcher le commerce des biens culturels irakiens et syriens et des autres objets ayant une valeur archéologique
historique, culturelle, scientifique ou religieuse, qui ont été enlevés illégalement d’Irak depuis le 6 août 1990 et de Syrie depuis le 15 mars 2011, notamment en frappant d’interdiction le commerce transnational de ces objets et permettant ainsi qu’ils soient restitués aux peuples irakien et syrien ». En Israël, au cours d’une opération de lutte contre la fraude, tous les objets irakiens en vente sur le marché des antiquités ont été confisqués et saisis en attendant qu’une enquête permette d’en déterminer la provenance. Finalement, un tribunal israélien a ordonné la confiscation de près de 200 objets anciens irakiens et des efforts sont en cours afin de trouver une voie diplomatique appropriée permettant de les restituer à l’Irak.
Tête de statue de Minerve
Lors d’une conférence de l’UNESCO, un représentant du gouvernement libyen a montré à la délégation israélienne la photographie de la tête d’une statue romaine en marbre, mise en vente sur le site web d’un antiquaire israélien. Le représentant avait également apporté la preuve que la statue avait été volée au Musée de Cyrène en Libye. Les autorités israéliennes ont lancé une opération contre l’antiquaire et ont réussi à saisir la statue. Dans ce cas également, des efforts sont en cours pour trouver la meilleure voie diplomatique permettant de garantir la restitution de la statue à la Libye.
Musée de la Bible
En partenariat avec un agent du Département de la sécurité intérieure des États-Unis, une enquête a été lancée en 2016 sur les activités de trois antiquaires israéliens qui avaient vendu des objets irakiens volés au Musée de la Bible à Washington. L’enquête a permis de confisquer et de récupérer plus de 5 000 objets d’origine irakienne. Le musée a dû s’acquitter d’une amende de trois millions de dollars des États-Unis et l’Autorité fiscale israélienne a initié une enquête sur les trois antiquaires pour évasion fiscale portant sur des sommes se chiffrant à plusieurs millions de dollars des États-Unis.
Statue de Cybèle
Lorsqu’un collectionneur privé en Israël a introduit une demande de permis d’exportation pour pouvoir vendre une statue provenant de Turquie dans une maison de vente aux enchères en Amérique, Israël a contacté INTERPOL afin de vérifier si l’objet en cause n’avait pas été volé. N’ayant reçu aucune réponse après un laps de temps considérable, les autorités ont fini par accorder le permis au collectionneur en cause. Juste après que l’objet a été exporté d’Israël, une réponse leur est parvenue de la Turquie confirmant que l’objet avait été acquis illicitement, par pillage. Les autorités israéliennes en ont immédiatement informé le Département américain de la sécurité intérieure qui a saisi la statue dès son arrivée aux États-Unis.
Itinéraires suivis pour le trafic illicite d’objets culturels
Compte tenu de la position centrale qu’occupe Israël sur le marché des antiquités, l’ATPU a réuni des informations et des renseignements sur les itinéraires utilisés par les trafiquants d’antiquités. Jusqu’en 2012, les objets excavés illégalement dans le pourtour du Proche et du Moyen-Orient étaient passés en contrebande vers le marché libre de Dubaï, d’où ils étaient envoyés en transit vers le Royaume-Uni, puis vers Israël. Une fois dans le pays, les objets étaient « blanchis » en utilisant les catalogues des antiquaires agréés, puis exportés légalement vers les pays de destination en Europe et aux États-Unis. Tout a changé, toutefois, en 2012 grâce à l’introduction de la législation imposant une obligation de permis d’importation.
Il convient également de noter qu’une nouvelle route commerciale illicite pour les antiquités excavées illégalement a récemment été identifiée entre la région du Proche et Moyen-Orient et le Canada. Israël est d’avis que la loi canadienne concernant le commerce d’antiquités est très laxiste et permet aux marchands d’antiquités internationaux de passer des objets en contrebande vers le marché américain. Ce phénomène a été porté à l’attention des autorités canadiennes.
Une autre route de la contrebande, utilisée surtout par les antiquaires israéliens, consiste à passer par les points de contrôle frontaliers entre Israël et la Jordanie. Les Israéliens et les Palestiniens qui travaillent comme chauffeurs pour des diplomates étrangers abusent de l’immunité diplomatique que leur offre leur véhicule lorsqu’ils traversent la frontière pour passer en contrebande des antiquités. Le travail de renseignement et la coopération entre l’IAA et la Douane israélienne jouent un rôle essentiel pour contrer ce phénomène.
Solutions possibles
En agissant sur plusieurs fronts à la fois, l’ATPU a réussi, au cours des années, à réduire le trafic d’antiquités en Israël. Cela étant, ce commerce destructeur et néfaste continue de se produire. Israël est profondément convaincu qu’il relève de la responsabilité des différents organes chargés du contrôle des antiquités dans chaque pays d’unir leurs efforts et, si nécessaire, d’amender les règlements douaniers concernant le commerce international des objets du patrimoine culturel et, notamment, d’imposer des permis d’exportation pour ces articles.
Si chaque pays exigeait à un importateur de présenter un permis d’exportation délivré par le pays où l’objet en cause a été acheté, il deviendrait beaucoup plus facile de détecter les pièces pour lesquelles il n’existe aucune documentation attestant de leur provenance. Il est certain que certains antiquaires tenteront de soumettre de faux documents afin de cacher l’origine des antiquités. La surveillance étroite des places de marché et les autres activités décrites dans le présent article seront donc toujours utiles, mais exiger un permis d’exportation constituerait une aide énorme pour les organes de lutte contre la fraude.
En outre, l’ATPU estime qu’une coopération internationale effective entre les pays contribuerait également à la lutte contre le commerce illicite d’antiquités. Comme les exemples repris dans le présent article le montrent clairement, en travaillant ensemble, les pays peuvent juguler plus facilement les menaces affectant le patrimoine culturel, empêchant non seulement le pillage de ces objets mais aussi leur trafic lucratif.
En savoir +
www.antiquities.org.il