Dossier

Chaînes de blocs, la Corée se prépare pour l’avenir

22 février 2019
Par Tae Il Kang, Directeur général du Bureau de l’information et des affaires internationales, Service de la douane de Corée

Depuis que le Forum économique mondial a lancé l’idée de la quatrième révolution industrielle en 2016, les technologies telles que l’intelligence artificielle (IA), la chaîne de blocs ou l’analytique des données massives, et leur possible incidence sur nos vies, sont devenues des sujets débattus partout dans le monde. Afin de se préparer pour l’avenir, le gouvernement de la République de Corée a créé en 2017 un « Comité sur la quatrième révolution industrielle ». Placé directement sous la tutelle du Président, le Comité a le mandat de coordonner les questions politiques importantes concernant le développement mais aussi l’acquisition de nouvelles sciences et technologies.

C’est dans ce contexte que le Service de la douane de Corée (KCS) a entrepris d’examiner l’application éventuelle de nouvelles technologies. En 2017, il crée un département spécialement centré sur les évolutions de la TIC à cet effet et, en 2018, lance le projet « Quatrième révolution industrielle et douane intelligente », dans le but d’introduire l’IA, l’analytique des données massives et la technologie des chaînes de blocs. Le présent article se penche sur cette dernière technologie en présentant les mesures prises par le KCS pour en tester la pertinence et la faisabilité dans l’environnement douanier.

2017 : le consortium de logistique maritime à l’exportation

Connue dans un premier temps du public comme la technologie se cachant derrière la première devise numérique qu’a été le Bitcoin, la technologie des chaînes de blocs présente des avantages qui sont à présent relativement bien compris : elle permet l’échange de renseignements sans intermédiaire tout en assurant l’intégrité des données et en fournissant une piste de vérification complète. Les secteurs tels que la finance, la distribution, la production et la santé l’ont déjà mis à profit, mais, dans la plupart des cas, les solutions qui ont été mises au point en sont encore à un stade de vérification ou de pilote et il est difficile de trouver des exemples concrets d’application de la technologie.

Afin de donner un coup d’élan au projet « Quatrième révolution industrielle et douane intelligente », en 2017, le KCS a décidé d’entreprendre des recherches visant à explorer l’application de la chaîne de blocs à d’autres domaines que les crypto-monnaies. À cette fin, le KCS a décidé de rejoindre le consortium public-privé de logistique maritime à l’exportation qui est dirigé par la compagnie de TIC nationale SAMSUNG SDS Co. et qui rassemble 41 entités, dont des services gouvernementaux tels que le KCS et le ministère coréen des affaires maritimes et de la pêche, ainsi que des transporteurs et des expéditeurs.

Après avoir consulté tous les participants, le KCS a été à même de confirmer qu’il était techniquement possible pour les acteurs de la logistique de partager des documents, tels que les connaissements et les crédits documentaires, à travers une plateforme fondée sur la technologie des chaînes de blocs. Une telle solution permettrait d’empêcher la falsification de documents logistiques à l’importation et à l’exportation et de simplifier leur délivrance. Il en a été conclu qu’il était nécessaire de lancer un projet, sous les auspices du gouvernement, afin d’établir une plateforme logistique axée sur la chaîne de blocs.

2018 : conception du projet

Dans un deuxième temps, le KCS s’est lancé dans un examen des domaines où les solutions fondées sur les chaînes de blocs auraient du sens. Le processus de dédouanement à l’importation ou à l’exportation a été identifié comme constituant un bon point de départ, dans la mesure où il pourrait certainement profiter d’une solution qui garantirait la fiabilité des informations, le partage d’informations en temps réel et la simplification des processus de travail. L’examen a ensuite permis de déterminer les procédures de dédouanement les plus adaptées pour cet exercice. Trois ont été choisies : le dédouanement à l’exportation lorsque l’expéditeur est une entreprise, les importations de commerce électronique lorsque le destinataire est une personne physique, et l’échange de renseignements transfrontalier.

Une démarche progressive et systématique a été adoptée, tenant compte de l’incidence importante que la nouvelle technologie pourrait avoir sur l’environnement commercial global et des changements législatifs et de politique générale qui pourraient s’avérer nécessaires. Des projets pilotes ont été menés afin de répertorier tous les défis techniques et institutionnels éventuels et de trouver la manière d’intégrer la chaîne de blocs dans les systèmes douaniers existants. Les applications mises au point dans le cadre de ces pilotes utilisent toutes Hyperledger Fabric, ce qui signifie donc que leur mise en œuvre se fonde sur une chaîne de blocs privée (infrastructure de chaîne de blocs par niveau de permission).

Dédouanement à l’exportation

À l’importation et à l’exportation, le processus de dédouanement est plutôt compliqué et implique un grand nombre d’acteurs, qui doivent partager un grand volume d’informations. En Corée, le partage de renseignements entre parties à une transaction n’est possible que de manière biunivoque, par courriel, par fax ou d’un système informatique à un autre, au détriment de la qualité et de l’exactitude des données, sans oublier le fait que les données peuvent être falsifiées à un moment ou à un autre dans le processus.

Le projet pilote relatif au dédouanement à l’exportation a été mené par le consortium SAMSUNG SDS Co. et KCNET Co. Les deux entreprises ont travaillé avec 49 participants issus du monde du commerce (exportateurs, chargeurs et exploitants d’entrepôts), organisés en sept groupes de travail. Durant le pilote, les participants ont partagé 22 types de documents en temps réel, dont des factures commerciales, des listes de colisage, des connaissements, des demandes ou des confirmations de réservation et des déclarations d’exportation. Les participants ont ensuite ajouté de nouveaux renseignements et documents sur le registre partagé.

La plateforme fera l’objet d’essais supplémentaires durant l’année et une application sera modelée sur la base des résultats finaux du pilote. En outre, les conclusions du pilote devraient également servir de tremplin à la conception d’une application pour le processus de dédouanement à l’importation.

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Le commerce électronique

Les transactions de commerce électronique impliquent des individus inconnus de l’administration. Bien que les marchandises achetées en ligne par des particuliers ne représentent qu’une petite part de la valeur des importations mondiales, la Douane coréenne cherche à empêcher que des produits de contrebande et d’autres articles prohibés n’entrent dans le pays. Pour le moment, l’évaluation des risques présente certaines limites, compte tenu de la faible qualité des données disponibles concernant ces transactions.

Encore une fois, la technologie des chaînes de blocs pourrait faciliter les procédures de dédouanement et permettre à la douane d’effectuer une gestion des risques de haute qualité. Dans le projet pilote relatif au commerce électronique, deux entreprises, Nomadconnection Co. et Matrix2B Co., ont été chargées de mettre sur pied une plateforme. Le but du projet était de mettre à l’épreuve le partage mutuel d’informations en temps réel entre les opérateurs du commerce électronique, les sociétés de transport et le KCS.

La Corée a simplifié la procédure en place pour les marchandises de faible valeur.  Pour les opérateurs postaux, le seuil au-dessus duquel une marchandise n’est pas considérée comme étant de faible valeur est de 125 dollars des États-Unis sur la base du prix CAF. Pour les services de courrier exprès, ce seuil s’établit à 100 dollars sur la base du prix FAB, ou à 2000 dollars pour les marchandises en provenance des États-Unis, conformément aux dispositions de l’accord de libre-échange (ALE) conclu entre la Corée et les États-Unis. Au-dessus de ces seuils, une déclaration en douane complète doit être soumise. Au-dessous, pour le fret exprès, une procédure de « dédouanement par liste » permet de dédouaner un envoi en soumettant 26 éléments d’information tels que le nom et l’adresse de l’opérateur, le nom et l’adresse du destinataire, le type et le prix des marchandises. Quant aux marchandises entrant sur le territoire à travers la chaîne du courrier postal international, elles sont dédouanées sur place.

L’application basée sur la chaîne de blocs recourt aux contrats intelligents pour gérer les transactions sous la procédure du dédouanement par liste : les informations requises sont recueillies automatiquement si les conditions prévues sont remplies. D’autres procédés seront mis à l’épreuve à l’avenir.

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Plateforme d’échange de données transfrontalier

La garantie d’un échange de renseignements fiables entre les pays constitue un élément critique pour améliorer les processus de travail et pour promouvoir encore la facilitation du commerce. Le grand avantage de la technologie des chaînes de blocs réside dans le fait qu’elle crée un environnement de « confiance » entre des parties inconnues et leur permet de conclure des transactions commerciales et d’échanger des informations. Par conséquent, elle représente la technologie la plus adéquate pour établir un échange automatique de données au niveau transfrontalier entre administrations des douanes.

Le pilote lié à ce projet visait à mettre à l’essai une solution permettant l’échange de certificats d’origine qui existent encore sous format papier dans de nombreux pays, bien que le nombre d’ALE conclus ne cesse de croître et, avec lui, le nombre de certificats délivrés.

La Corée et le Vietnam discutant actuellement de la possibilité de dématérialiser les certificats requis pour assurer le traitement préférentiel des produits d’origine, le KCS a travaillé à ce projet pilote avec la Douane du Vietnam à laquelle se sont joints des exportateurs coréens et des importateurs vietnamiens. L’application construite dans le cadre du pilote a permis de partager en temps réel les certificats d’origine délivrés en Corée avec les exportateurs coréens, les importateurs vietnamiens et l’administration douanière du Vietnam. En vue de se préparer à d’autres types d’échange de données à l’avenir entre les deux pays, le KCS a également mené plusieurs essais concluants dans l’environnement informatique de la Douane du Vietnam, notamment l’installation d’un nouveau serveur.

Conclusion

Le KCS s’est donné pour objectif d’intégrer les données sur le commerce transfrontalier et les flux logistiques internationaux en un seul endroit et il se réjouit du jour où il pourra compter sur une nouvelle plateforme de dédouanement et de logistique qui permette à tous les acteurs de la chaîne de partager des informations fiables en temps réel. De fait, le système de dédouanement électronique de la douane appelé UNI-PASS, qui informatise les régimes douaniers et automatise le processus de dédouanement, est en cours de révision dans la perspective d’établir une nouvelle plateforme fondée sur les chaînes de blocs. Le but est de renforcer l’exactitude des données, la fiabilité des processus, leur rapidité et leur efficacité.

Les chaînes de blocs sont une technologie en cours de maturation. À l’heure actuelle, des recherches approfondies et des travaux de conception sont menés sur des aspects critiques tels que la « scalabilité » et l’interopérabilité. En mettant en œuvre des projets pilotes passant par cette technologie, le KCS contribue aux efforts mondiaux visant à déterminer comment elle peut être appliquée dans des conditions de travail réelles.

En étant l’un des premiers à s’aventurer sur ce terrain, le KCS démontre sa volonté de relever le défi afin de libérer le potentiel des technologies de pointe, vouées à transformer les sociétés et à faciliter leur entrée dans la quatrième révolution industrielle. Le KCS est convaincu que ces efforts lui permettront d’avancer vers l’application de normes internationales au niveau du commerce international et de la logistique et qu’ils changeront la donne pour les administrations douanières.

En savoir +
Kti680@korea.kr
http://www.customs.go.kr/kcshome/redirect.jsp?bbsId=BBSMSTR_1811&layoutMenuNo=32941