Construire une infrastructure de classement tarifaire : l’expérience du Ghana
20 juin 2018
Par Ena Blege, Directeur de la classification, Bureau des services techniques, Douane du GhanaEn janvier 2018, le gouvernement du Ghana a notifié au Secrétariat de l’OMD son acceptation des sept Recommandations relatives au Système harmonisé. Par ce biais, les pouvoirs publics ghanéens ont voulu témoigner leur engagement fort en faveur de la mise en œuvre de pratiques objectives, prévisibles et transparentes en matière de classement des marchandises ainsi que leur volonté de faciliter la collecte de statistiques du commerce international et le suivi des échanges mondiaux. Le présent article décrit la voie suivie au fil du temps par l’Administration fiscale du Ghana pour créer une infrastructure de classement fonctionnelle et opérationnelle et aborde notamment les défis liés à la mise en place d’un système de décisions anticipées, à la formation du personnel et à la procédure de recours.
De 1970 à 2000, le Ghana a recouru à un régime d’inspection avant expédition (IAE) pour les marchandises importées dans le pays. Le classement tarifaire était effectué dans le pays d’exportation par des organismes de contrôle accrédités. Toutefois, le dispositif n’était pas sans problèmes. Ces derniers s’aggravant avec les années, les autorités ont mis en place, à partir de l’an 2000, un régime d’octroi de licences pour des entreprises locales afin qu’elles entreprennent les activités d’inspection à destination. Ces sociétés d’inspection à destination (IAD) étaient dûment mandatées pour classer les marchandises arrivant dans le pays. Des équipes de douaniers y ont ensuite été affectées afin de leur fournir une assistance technique. Toutefois, le système des IAD comportait également ses désavantages.
En septembre 2015, suivant les Recommandations du Conseil de l’OMD, la Douane du Ghana a donc décidé de créer une Unité du Système harmonisé afin de reprendre les activités des sociétés d’IAD et d’assurer elle-même le travail de classement. Un atelier national de l’OMD s’était tenu peu avant, en juin 2015, dans la capitale ghanéenne, Accra. Suite à cette rencontre, des experts en Système harmonisé (SH) du Secrétariat de l’OMD avaient été chargés :
- de passer en revue l’infrastructure de classement actuelle de la Douane,
- d’évaluer la Douane dans son ensemble ainsi que ses procédés,
- de comparer les méthodes de classement de la Douane avec les meilleures pratiques internationales,
- d’aider la Douane à élaborer un plan stratégique dans le but de mener à bien la transition vers une activité de classement pleinement contrôlée par la Douane,
- de quantifier les avantages et bénéfices escomptés qui découleraient du fait que la Douane assume la pleine responsabilité du processus de classement,
- d’évaluer les risques auxquels la Douane pourrait être confrontée dans la reprise des activités menées par les sociétés d’IAD.
Au moment de la reprise effective des activités de classement tarifaire en septembre 2015, une nouvelle unité, qui allait devenir le Bureau des services techniques par la suite, était déjà en place au siège central de la Douane. Le Bureau comprenait, en son sein, un Centre national de la classification composé d’une équipe de fonctionnaires expérimentés dans le classement tarifaire dont les objectifs et missions consistaient notamment à :
- garantir la mise en place et l’application correcte du SH,
- établir et gérer la politique en matière de classement afin de garantir un classement uniforme de toutes les marchandises importées,
- examiner les questions de classement renvoyées par les bureaux de douane régionaux et locaux,
- mettre à jour régulièrement le Tarif externe commun (TEC) de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dont le Ghana est membre,
- publier les renseignements tarifaires contraignants pour utilisation par les opérateurs commerciaux,
- servir de lien entre la Douane et l’OMD et son Comité du SH, et mettre en œuvre les décisions du Comité,
- discuter des questions de classement avec le laboratoire central des douanes qui dispose également d’un réseau de laboratoires mobiles,
- coopérer avec la section chargée de la formation.
Décisions anticipées
L’objectif des experts de l’OMD qui ont aidé la Douane ghanéenne durant cette période était de sensibiliser l’administration au besoin de disposer d’une infrastructure de classement moderne, comme pierre angulaire d’une administration douanière efficace et compétente. Une telle infrastructure permettrait de garantir un recouvrement rigoureux des recettes, faciliterait le commerce, contribuerait à la lutte contre la fraude et les actes illicites et rendrait possible la compilation de statistiques commerciales.
L’une des principales recommandations formulées par les experts de l’OMD visait à faire en sorte que la Douane ghanéenne mette en place un programme de renseignements contraignants sur le classement des marchandises avant déclaration. Selon eux, le classement tarifaire étant un domaine de nature assez technique qui prend du temps dès lors que l’analyse des documents de référence est fastidieuse et qu’il faut, le cas échéant, recourir au laboratoire des douanes, il est important d’adopter la Recommandation de l’OMD sur les décisions tarifaires anticipées afin de minimiser les retards et de faciliter le commerce international et l’investissement. Un programme effectif de renseignements contraignants aiderait la Douane ghanéenne à :
• garantir le classement uniforme des marchandises et coordonner toutes les décisions de classement au sein de l’administration ;
• réduire autant que possible les pertes de revenus ;
• diminuer les délais de dédouanement et les coûts inutiles liés aux activités commerciales ;
• limiter autant que possible les différends en matière de classement.
Heureusement pour le Ghana, les travaux visant à poser les fondements du cadre législatif nécessaire pour la création d’un tel programme avaient commencé en 2013 et une nouvelle loi avait été adoptée le 18 mai 2015 (loi n° 891). Les extraits portant sur les décisions douanières anticipées, tirés de la Section 12 du texte de la Loi, sont reproduits ci-après :
(1) Le Directeur général peut rendre une décision écrite en application de la législation douanière sur un ensemble d’éléments de fait spécifiques soumis par une partie intéressée.
(2) Au titre de la présente Section, une partie intéressée désigne, notamment, une personne, ou son mandataire désigné, ayant un intérêt avéré pour les questions présentées dans la demande, et un importateur ou exportateur […].
(5) La demande de décision douanière doit être faite par écrit et doit inclure un relevé de tous les éléments de fait pertinents, les noms et adresses des parties intéressées, le nom du point d’arrivée ou de départ présumé des marchandises, ainsi qu’une description suffisamment détaillée de la transaction afin de permettre l’application de la législation douanière […].
(9) Une décision douanière anticipée est contraignante jusqu’à ce que la décision soit annulée par le Directeur général […].
(12) Une partie intéressée peut demander un réexamen de la décision douanière anticipée par le Directeur général dans les trente jours suivant la publication ou la notification de ladite décision ; ou introduire une demande de révision judiciaire de la décision dans les trente jours.
(13) Le Directeur général réserve aux renseignements soumis au titre de cette section un traitement confidentiel, à moins que les parties n’en conviennent autrement.
Il est intéressant de relever que la loi ne prévoit pas d’échéance pour les décisions tarifaires contraignantes. La Section 12, sous-paragraphe 9, de la loi stipule qu’elles peuvent être annulées à tout moment par le Directeur général.
La loi enjoint ce dernier à « réserver aux renseignements soumis au titre de cette section [la Section 12, paragraphe 13 de la loi] un traitement confidentiel, à moins que les parties n’en conviennent autrement. » La Douane du Ghana peut donc publier les renseignements tarifaires contraignants avec la permission de l’opérateur concerné. Cependant, bien qu’elle les encourage activement à le faire, aucun opérateur ne lui a accordé cette permission jusqu’à présent.
Par ailleurs, il convient de mentionner que les décisions de classement sont discutées avec les bureaux régionaux pour assurer la cohérence entre les décisions émises par ces bureaux et par le Centre national de classification. Tout problème de classement émanant de ces bureaux est, en outre, relayé au Centre pour être résolu.
Formation et renforcement des capacités
La Douane du Ghana a organisé de nombreuses activités de formation et de renforcement des capacités pour ses fonctionnaires au cours des années. Les douaniers ont pu suivre une formation sur le TEC de la CEDEAO, sur la structure du SH et sur les principes régissant le classement.
Les experts de l’OMD ont également aidé la Douane ghanéenne à affronter et à résoudre plusieurs problèmes propres au SH, donnant des conseils, par exemple, sur la façon d’améliorer l’infrastructure de classification, sur le rôle du laboratoire des douanes et sur la manière de tirer profit des divers outils de l’OMD, par exemple, des publications et des recommandations émises par l’Organisation.
Une Commission chargée des questions de classement tarifaire a été créée au siège central. Elle se réunit une fois par semaine pour passer en revue les travaux effectués par le Centre national de classification. La Douane du Ghana, toutefois, rencontre encore des difficultés dans ses efforts pour aboutir à un bon modèle de travail aux fins du classement. L’un des défis principaux est le manque de ressources optimales requises pour satisfaire les besoins en matière de renforcement des capacités. Le manque de personnel compétent versé dans les questions du SH continue de poser problème.
En outre, les ressources affectées à la formation des fonctionnaires en place n’ont pas été suffisantes et ne leur ont pas permis d’être formés pour entreprendre une analyse détaillée de tous les chapitres du SH et du TEC, pour élaborer des études de cas sur la classification, pour prendre acte des décisions du Comité du SH et pour gérer les décisions de classement et détecter les possibles domaines de fraude en matière de classification. Des formations spécialisées et plus poussées sont notamment nécessaires concernant les sections spécifiques du SH revêtant une importance particulière pour le Ghana, comme les chapitres sur les machines et sur les produits chimiques.
La lenteur du travail de mise en place du programme de renseignements contraignants sur le classement des marchandises avant déclaration représente un autre défi que la Douane du Ghana doit relever. L’administration en est encore au stade liminaire des efforts nationaux de sensibilisation à cet égard qui visent à éduquer le public et le corps des fonctionnaires à l’importance de cet instrument. Ainsi, comme nous le craignions, peu nombreux sont les opérateurs qui ont tiré parti de ce dispositif jusqu’à présent.
Processus de recours et formation du secteur privé
La procédure de recours n’est pas encore aussi efficace que la Douane le souhaiterait. Toutefois, comme indiqué plus haut, la loi régissant les décisions tarifaires anticipées octroie à tout opérateur un droit d’appel contre toute décision de classement rendue par l’administration. Tout opérateur se voit communiquer les raisons motivant la décision de l’administration dans les plus brefs délais. La décision est transmise durant une réunion formelle entre la Commission des recours et l’opérateur.
Cela étant, le plus grand problème auquel la Douane du Ghana doit faire face est le volume des différends avec les opérateurs, qui est tout simplement trop élevé. Des efforts croissants sont donc consentis pour sensibiliser les opérateurs commerciaux ainsi que les autres parties prenantes à l’importance du classement et à son impact sur leurs activités. Par ailleurs, la Douane du Ghana consulte ses principaux interlocuteurs, les opérateurs commerciaux et les commissionnaires en douane, dans le cadre de divers programmes de sensibilisation, au début de chaque cycle de révision du SH. Toutefois, un travail d’éducation approfondi est nécessaire de la part de la Douane à l’adresse des opérateurs afin de les former aux règles gouvernant la classification, dans l’espoir de réduire par ce biais les différends et autres litiges.
Conclusion
L’expérience ghanéenne met en exergue les possibles pièges et difficultés qu’une administration douanière peut rencontrer quand elle procède à la refonte et au réagencement de son infrastructure de classement. Alors que le SH fête ses 30 ans cette année, la Douane ghanéenne espère que son expérience sera utile à d’autres administrations qui se penchent sur la possibilité d’évaluer leur capacité en matière de classement et qu’elle les incitera à réformer leurs procédures si besoin.
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