Réseau douanier national de lutte contre la fraude : retour d’expérience de deux pays
22 février 2019
Par l’Administration fiscale de Géorgie et la Douane du Sri LankaLa gestion des risques fondée sur le renseignement est une notion largement appliquée dans le domaine douanier et tout le monde s’accorde à dire aujourd’hui qu’elle constitue la voie à suivre pour appuyer les efforts de facilitation du commerce international tout en s’affranchissant des contraintes en matière de ressources. L’un des principaux mécanismes pour appliquer une stratégie en ce sens consiste à disposer d’une base de données du renseignement systématique et précise, riche en informations en lien avec la lutte contre la fraude.
Développé par l’OMD, le Réseau douanier national de lutte contre la fraude (nCEN) est une application qui offre aux administrations des douanes la possibilité de recueillir, de stocker, d’analyser et de diffuser des informations en matière de lutte contre la fraude au niveau national, et de pouvoir construire ainsi des capacités solides en matière de renseignement et renforcer leurs activités de profilage.
Le nCEN se compose de trois bases de données indépendantes :
- la base de données principale rassemble les données sur les saisies et les délits requises aux fins d’une analyse, et sur les moyens de transport et les itinéraires. Elle offre la possibilité de consulter des photos illustrant les méthodes exceptionnelles utilisées comme moyens cachés.
- deux autres bases de données supplémentaires couvrent les informations sur les individus, moyens de transport et entreprises jugés suspects et présentant un intérêt pour la douane, facilitant ainsi la structuration du processus d’enquête.
Un système de courriel intégré, connu sous le nom d’Interface de communication de l’information (Icomm), permet un échange fluide et efficace d’informations entre les utilisateurs et les parties externes « connectées », telles que l’OMD. L’interface peut être utilisée pour envoyer des informations sur les saisies vers la base de données du Réseau douanier de lutte contre la fraude (CEN) de l’OMD ou vers d’autres pays utilisant le nCEN.
Dans le présent article, deux pays, la Géorgie et le Sri Lanka, nous livrent leur expérience nationale pour la mise en place du nCEN, évoquant leur point de départ, la manière dont le déploiement de l’application s’est déroulé ainsi que les avantages qu’ils ont pu tirer de l’application depuis son installation dans leur administration respective.
L’expérience de la Géorgie
En 2016, l’Administration fiscale de Géorgie, qui réunit sous un même toit les services fiscaux et douaniers et les services de contrôles sanitaires et phytosanitaires frontaliers, décidait de déployer l’application nCEN. Trois ans plus tard, la Douane de Géorgie est en mesure de partager son expérience concernant l’utilisation du système et la façon dont il a eu un impact positif tant sur le personnel douanier que sur les opérations douanières.
Mise en place pratique
Trente-quatre douaniers, travaillant à différents bureaux de douane frontaliers, dans les zones de dédouanement et dans les Unités de contrôle des conteneurs[1], peuvent saisir des données dans le système. Une fois saisies, les données sont validées par un des quatre administrateurs du système.
Pour l’heure, la Géorgie compte dans la base de données 1 509 cas de saisie validés et 209 fiches portant sur des entreprises. Des informations sont encodées au quotidien et sont consultées régulièrement par les analystes du risque travaillant au siège central de l’Administration fiscale de Géorgie et par les douaniers sur le terrain. Grâce aux analyses, de nouvelles tendances en matière de contrebande ont pu être identifiées et partagées avec les douaniers de première ligne. Par exemple, les méthodes utilisées pour dissimuler les stupéfiants, notamment en les cachant dans les bagages à main ou encore en les glissant dans différents objets, ont été répertoriées. Le travail analytique est grandement facilité par le moteur de recherche et la galerie de photos montrant les différents moyens cachés.
L’application constitue également un outil efficace de formation et de partage de renseignements entre le siège central de la Douane et les unités douanières réparties à travers les différents points de passage frontaliers et les bureaux de dédouanement à l’intérieur du territoire. Interrogés sur l’impact de l’outil sur leur travail quotidien, les douaniers de terrain ont répondu qu’il leur a permis d’approfondir leurs connaissances sur les modes opératoires et sur les menaces, qu’il les aidait énormément dans l’établissement de profils portant sur des individus et sur les moyens de transport, et qu’au final ils sentaient que leurs capacités de détection étaient meilleures.
Via Icomm, les fiches non nominatives portant sur les saisies sont envoyées automatiquement à la base de données CEN. Le système traduit également le contenu des différents champs du géorgien vers l’anglais de manière automatique, à l’exception des champs de texte libre qui doivent être traduits par les responsables chargés de valider les informations saisies.
Partage d’informations
Si, à l’heure actuelle, la Douane de Géorgie ne partage pas d’informations par Icomm avec d’autres pays ayant déployé le nCEN, elle n’en écarte pas la possibilité à l’avenir pour autant. Deux questions doivent être résolues à cet égard :
- les pays sont-ils prêts à ajouter ces données aux canaux d’échange d’informations existants ?
- les accords existants, tels que les accords d’assistance mutuelle, sont-ils adaptés à ce type d’échange de renseignements ou faut-il mettre en place un nouveau cadre législatif ?
Formation
Des séances de formation sont organisées régulièrement dans le but de maintenir, voire d’élargir, le vivier de membres du personnel autorisés à encoder des données mais aussi afin d’accroître la quantité et la qualité des données qu’ils saisissent dans le système et consultent par la suite. Cette formation est continue et elle a énormément amélioré les compétences des douaniers ainsi que le travail de la Douane à travers le pays.
Résultats positifs
Trois ans après avoir déployé le nCEN, la Douane de Géorgie est fermement convaincue que l’outil a un impact positif sur ses activités et a résolument renforcé ses capacités de gestion des risques. Ces résultats positifs permettent à la Géorgie de répondre pleinement aux besoins de ses partenaires commerciaux au niveau international tout en renforçant la contribution de la Douane au développement économique et social du pays à travers une lutte contre la fraude plus efficace.
L’expérience du Sri Lanka
La Douane du Sri Lanka avait besoin, depuis longtemps déjà, d’une base de données qui lui permette de recueillir, d’entreposer et de partager des données concernant la lutte contre la fraude, ce qui l’a amenée à décider de rejoindre le groupe des administrations dotées de l’application nCEN. L’accord pour la mise en place du système a été signé en mai 2017 et une formation a été impartie par l’OMD à 15 douaniers de la division de la lutte contre la fraude et de la division du contrôle, en octobre de la même année.
Processus de mise en œuvre
Le déploiement du système a été confié à la Direction centrale du renseignement de la Douane, avec le soutien de la Direction des technologies de l’information et de la communication. Quatre fonctionnaires ont été nommés chefs de projet du nCEN, dont l’un d’eux s’est chargé d’assurer la liaison avec l’OMD. La première séance de formation a été suivie d’une deuxième portant sur l’utilisation du nCEN et visant à accroître le nombre d’utilisateurs. De nombreux douaniers ont participé à cette deuxième session et tous représentaient l’une ou l’autre des principales unités des divisions de la lutte contre la fraude, du contrôle et des recettes.
L’application a été officiellement lancée en février 2018. Afin de garantir que tous les cas de saisies soient bien rapportés dans le nCEN, des ordonnances départementales ont été publiées, associées à des instructions d’utilisation, rendant obligatoire la soumission de ces cas au nCEN. Les fonctionnaires ont également été encouragés à utiliser la base de données des suspects. Une fois les données rapportées dans l’application, elles sont vérifiées par des fonctionnaires chargés de la validation des cas au sein de la Direction centrale du renseignement. Ces derniers ont également pour tâche de contrôler la qualité des données encodées, de répondre aux besoins des utilisateurs en cas de problème, de gérer la base de données des utilisateurs (création de nouveaux comptes, désactivation de comptes, réinitialisation des mots de passe, etc.) et d’organiser et de mener des sessions de formation.
À l’heure actuelle, la Douane du Sri Lanka compte 157 utilisateurs formés à l’application nCEN et depuis le déploiement du système, la base de données des saisies recense plus de 1 500 cas. Les éléments non nominatifs des cas de saisie sont partagés avec l’OMD par le biais d’Icomm.
Voie à suivre
La mise en place du nCEN a pallié l’absence d’une base de données sur la lutte contre la fraude qui a fait pendant longtemps cruellement défaut à la Douane du Sri Lanka, eu égard au fait que la capacité à élaborer des profils de risque et à étayer la prise de décisions au niveau stratégique, tactique et opérationnel est liée à la disponibilité et à l’abondance de données de qualité en matière de lutte contre la fraude.
Le nCEN s’est ainsi avéré utile pour la reconfiguration récente du processus de gestion des risques de l’Administration, permettant de créer et de mettre à jour les profils de risque afin que les opérateurs commerciaux légitimes puissent bénéficier d’un dédouanement plus rapide. À présent, la Douane du Sri Lanka se centrera sur l’amélioration de ses capacités d’analyse des données, un domaine où elle doit impérativement avancer dans la mesure où ses fonctionnaires doivent apprendre à visualiser et à mieux exploiter les informations recueillies.
L’échange de données constitue un autre domaine aux perspectives prometteuses. Le nCEN permet non seulement d’élaborer plus facilement des rapports mais il facilite aussi l’échange de renseignements avec les autorités compétentes au niveau national, voire international, à travers l’Icomm. La Douane du Sri Lanka se penche à présent sur la possibilité de partager des informations avec les autres services gouvernementaux et avec d’autres administrations des douanes, dans le cadre d’accords d’assistance administrative ou juridique mutuelle. Pour l’heure, il n’existe toutefois pas de base légale qui permette à la Douane de partager des renseignements directement avec les autres pays à travers le nCEN.
Avec l’aide de l’OMD, la Douane du Sri Lanka a réussi à mettre sur pied sa base de données nationale pour la lutte contre la fraude en 10 mois. Lors du premier atelier rassemblant les utilisateurs du nCEN dans la région d’Asie-Pacifique, qui s’est tenu à Séoul, en Corée, en octobre 2018, le Sri Lanka a été élu chef du programme nCEN régional pour 2019. En tant que tel, il a été chargé de promouvoir l’outil dans la région et d’organiser divers ateliers à l’adresse des pays utilisant le nCEN. Il va sans dire que le Sri Lanka reste aussi totalement disposé à partager son expérience de mise en place du nCEN avec les pays en dehors de la région qui désirent en savoir plus sur l’outil et sur ce que son déploiement exige.
En savoir +
Georgia: customs@rs.ge
Sri Lanka: rajitha.komangoda@customs.gov.lk
[1] Les Unités de contrôle des conteneurs ont été créées dans le cadre du Programme de contrôle des conteneurs de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime et de l’OMD